Demain soir, les gars de Sntwn proposent un plateau géant à La Machine du Moulin Rouge, en invitant, avec leurs camarades Smallville et Release The Groove, trois labels ambitieux sur les trois niveaux de la salle de Pigalle. L’occasion d’un long échange avec l’équipe de Sntwn pour discuter des aventures d’hier, des réussites d’aujourd’hui et de leurs envies pour demain.
En deux ans, deux mecs se sont imposés comme les fers de lance des soirées parisiennes, proposant des soirées toujours plus ambitieuses, multipliant les formats et les collaborations. D’abord webzine, Sntwn est aujourd’hui devenu une marque de fabrique, une garantie, un label AOC tente même le magazine Trax ce mois-ci. Co-programmateurs de La Machine du Moulin Rouge, initiateurs des 75021, robustes soutiens de nombreux collectifs parisiens, Sntwn est sans conteste l’un des moteurs essentiels de cette dynamique qui bouscule le paysage nocturne de la capitale, et d’ailleurs. Entre coups de tête et coups de cul, retour au long cours avec Julien et Marc sur cette véritable aventure de passionnés, qui entraine du beau monde et de belles nuits dans son sillage.
On s’attend à ce qu’ils soient dix. Pas une légion, tout de même, mais une belle équipe, des amis d’enfance ou une team de choc recrutée via d’habiles stratégies managériales. Mais ils sont deux. Julien et Marc. Des mecs cools, sans prétention, qui gèrent leur affaire avec sérieux, mais avec ce côté un peu bordel qui rend le contact immédiat et naturel. Ça doit être une de leurs forces ça, l’esprit bande de potes avec un gage de sérieux dans le travail. Allons voir.
Au départ, les réponses sonnent un peu rodées. Il faut dire que la question est bateau aussi. « Ça commence comment Sntwn ? », qu’on leur demande. C’est pas qu’ils ont fait nombre d’interviews, mais on a dû la leur poser plus d’une fois celle-là. D’ailleurs Marc laisse la parole. « Je laisse Ju répondre sur cette partie ». C’est aussi qu’au départ Marc, il n’y est pas encore dans Sntwn.
Sonotown, du webzine aux warehouses
En fait, Ju, Julien Boisseau de son plein nom, avait lancé un webzine avec des potes de fac d’histoire il y a quelques années, « fin 2008 ». Ça s’appelait Sonotown. A l’époque, ils sont en 1ère et 2ème année de face d’histoire à Tolbiac, et ce qu’ils veulent, c’est faire du journalisme. Le blog, c’est le support idéal : on parle de ce que l’on veut, comme on veut et quand on veut. Eux, ils ont en tête une « plateforme interdisciplinaire ». Un site web au travers duquel ils peuvent partager et écrire sur ce qui les emballe sur le Net, aussi bien au niveau visuel que graphique ou musical.
A croire que le choix du journalisme se fait toujours avec un idéal en tête, Julien veut alors faire du journalisme en réponse à une frustration. « J’étais très critique de ce qui se faisait. J’écoutais du Rephlex, du Planet Mu, Aphex Twin… Je ne retrouvais pas ça dans les articles. Alors autant monter notre propre truc ». Ce Parisien « à 200% », qui a grandi dans la 13ème, à Glacière – « Glacière ! » -, amène avec lui un gros background hip hop et une culture « plus geek que club, plutôt casque à la maison ». Même s’il squatte à l’époque les grosses venues au Batofar ou au Tryptique, comme Jeff Mills ou DJ Krush.
Pour le lancement du site, l’équipe d’alors organise une soirée forcément « interdisciplinaire » dans un ancien studio de cinéma, à Malakof. Il y a DSCRD – qui s’appelait encore Discordance -, Noob, Djedjotronic… « Des potes ». 400 personnes répondent présentes. Le site web fonctionne désormais, mais comme souvent dans ce genre de projet, les énergies s’étiolent, les motivations s’éparpillent et quelques départs sont à regretter.
Une deuxième soirée est pourtant organisée, en janvier 2010. C’est à nouveau l’ancien studio de ciné qui accueille l’événement, mais cette fois-ci, 1200 personnes viennent danser sur les musiques aussi hétéroclites que O2zen, Débruit ou encore 69db. « On s’est dit, c’est fabuleux ! », se rappelle Julien, qui place alors dans l’organisation de soirées une motivation nouvelle. Au fur et à mesure, les publications se recentrent de plus en plus sur la musique électronique et la promotion d’événements liés et se détourne du reste.
En juin, l’équipe investit la terrasse et la salle du Trabendo avec une douzaine d’artistes, dont Machinedrum. Et début 2011, les consonances UK sont véritablement mises en avant avec la soirée The Big Fish. « On était allé voir le Nouveau Casino avec James Blake, Mount Kimbie et Machinedrum en line up et pour environ 500€ de booking par artiste. A l’époque, Paris était dans sa période minimal techno. On a essuyé un refus : notre soirée était trop electronica ! Finalement, on a débouché sur le 6b, et on a accueilli 600 personnes ».
A cette soirée type UK répond en juin une nuit dédiée à la techno de Berlin, avec une spéciale consacrée au label Fachwerk avec les Allemands Mike Denhert, Roman Lindau et Sascha Rydell. « Jamais nous ne nous étions frottés à une programmation deep techno, est-il écrit sur le site au lendemain de l’événement, alors autant taper fort et pointu ». Au final, au Générateur, à Gentilly, le système de climatisation défectueux fait bouillir la salle et le public est aux anges. « Ces deux soirées ont en quelque sorte défini ce qu’on voulait en événementiel, analyse aujourd’hui Julien, à la fois bass music UK et des line up berlinois, de grosse techno qui tache ».
Marc resplendit Sntwn
Alors que le projet Sntwn se redéfinit et qu’une direction musicale se précise, un jeune homme débarque, venu de Pau avec son meilleur pote pour organiser à la capitale ce qu’il ne trouve pas dans le sud. « J’ai fait leurs soirées et j’ai tout de suite accroché, se souvient Marc. Ça s’est fait d’un coup, autour d’un café. On s’est donné rendez-vous, je lui ai dit « C’est chanmé, je kiffe bien votre approche, les artistes programmés, pointus, les lieux atypiques ». Et comme Julien est toujours ouvert aux nouvelles rencontres… »
Ses premières armes, Marc Resplandy les avait d’abord faites en festival, comme l’Electromind à Montpellier ou le Sonar de Barcelone, puis par des voyages à Berlin « hiver et été », à 18-20 ans. A 21 ans, avec une licence pro en management des entreprises en poche, il part vivre quelques temps à Barcelone. Dans sa coloc, ça vibre techno et le rythme du clubbing est élevé. « Le Moog, le Be Cool, le Loft du Razzmatazz, ma salle fétiche ! ». Convaincu que c’est dans la musique qu’il veut bosser, il part à Londres pour 5 mois poursuivre un master en chef de projet culturel, et squatter le Plastic People, la Fabric, les warehouses…
Après être revenu un temps au pays, début 2011, il part à Paris et rencontre Julien avant l’été. « C’était une période difficile pour Sntwn à l’époque », raconte-t-il. Julien renchérit : « On formait alors une deuxième version de l’équipe, juste ma copine et moi. On s’est séparés et c’est un peu parti en vrille. Je me suis retrouvé un peu tout seul à porter le site, qui du coup est devenu secondaire ». C’est alors que se fait la rencontre avec Marc. « A partir de ce moment-là, les événements se sont enchaînés ».
« Et puis, tu sais qu’on était fait pour se rencontrer ? », s’enflamme soudain Julien. «On discutait de nos origines etc., et on parle de l’Espagne. Au final, on se rend compte que nos deux familles, nos grands-parents, viennent de deux villages près de Valence, et que ces villages sont séparés de seulement… 6 km ! C’est dingue ça, non !? ».
La Machine Sntwn
De août à décembre 2011, ce n’est pas moins de 11 événements qu’ils organiseront. « C’était la période hard de l’asso, raconte Marc, on a fait jusqu’à 5 dates en près d’un mois, c’était beaucoup, et pas mal de bricolage. On passait plusieurs de nuits blanches, on avait énormément de boulot, l’équipe splittait, et j’héritais de toute l’histoire de l’asso ». Polar Inertia, Moritz Von Oswald Trio, Dimlite, Paul White, Jacques Greene, Beans, Eskmo, Boddika, 2562… Autant de genres et de styles pour autant de soirées différentes, que seul rassemble le goût du « one step forward » musical. C’est aussi pendant cette période que seront organisées les deux premières soirées à La Machine.
« A la base, on s’était fait planté un lieu atypique », retrace Julien. « Un peu par hasard, j’ai appelé Peggy [programmatrice du lieu, ndlr], qui m’a dit qu’elle kiffait toutes nos soirées, qu’elle était venue au 6b… On était sur la même longueur d’ondes. Et on a la même approche : les gens de la Machine ne viennent pas de la nuit, mais du concert, du live… En novembre on a fait Samiyam, Free The Robots, Nasty Nasty… Et un mois après, on y fêtait les 3 ans du site avec Dorian Concept, As Patria, Machinedrum, Shed… »
La suite, la soirée La Fronce est sa trentaine de MC’s venue de toute la France pour régaler quelques 800 personnes, mais aussi, et surtout, la collaboration avec Warp pour la release party de Clark lors de la soirée Bleep. « Sntwn X Warp, c’était un kiff énorme ! », exulte encore Julien. « On a fait 1200 entrées ce soir-là. Ça a convaincu l’équipe de La Machine de notre potentiel, et ils se sont tournés vers nous lorsqu’ils cherchaient un programmateur pour l’été 2012 ». Le rendez-vous devait se passer entre Peggy et Julien, mais les deux compères ne se lâchent plus. « On est vendus par lot, alors on est venus à deux ! »
Depuis, Sntwn est en charge de la moitié de la programmation club de la salle, gère la communication web et nombre de collectif ont pu apprécier le soutien que leur a apporté l’équipe en les programmant. « On a en quelque sorte imposé le modèle Sntwn à la Machine ! », sourit Julien dans un clin d’œil.
Si la programmation de 2012 était très éclectique, on note toutefois une tendance à inviter des artistes de plus en plus techno, de plus en plus pointus. « Je vois bien la différence depuis l’année dernière », convient Marc. « L’an dernier, c’était plus varié, ça allait du hip hop à Warp, de la techno à de la beatmusic ». « C’est que nos goûts changent aussi, reconnait Julien, et puis Joss de Release The Groove invite déjà une telle scène ». « J’avoue que j’ai plus injecté de mes goûts aussi, confesse Marc, mais on n’en a pas discuté, ça se passe au feeling : on a un artiste et on voit qui on pourrait programmer avec ».
Cette règle du feeling comporte pourtant ses exceptions. Par exemple lorsqu’il s’agit de collaborations, comme avec Warp, qui calait son plateau sur la sortie de l’album de Clark, ou pour la soirée Bleep, toujours à La Machine qui correspondait à la sortie de plusieurs EP à une date précise. « On programme pas tout seuls là, acquiesce Marc, c’est la même chose avec les Smallville, avec qui on a fait venir Omar S. C’est l’artiste que je voulais faire jouer quand j’ai commencé à monter des soirées, avec Virgo Four en live. Ça ce sont des programmations coups de cœur. »
Parmi ces grands moments en 2012, les deux comparses parlent d’une seule voix : cette soirée à la Fonderie de l’Image de Bagnolet avec DSCRD, et les deux Smallville qui étaient pour eux magiques. « La première au Point Ephémère, ça avait été 1000 personnes dans la salle, les gens pleuraient ! Ils dansaient partout, jusque sur la scène ! », conte Julien. « Oui, enfin c’est toi qui dansait sur la scène », corrige son acolyte.
75021, arrondissement éphémère
Pour autant, le fait d’avoir leurs (grands) bureaux à la Machine ne les empêche d’aller voir ailleurs quand l’envie leur prend, comme le week-end du 7 juin au Batofar et à Bordeaux – « c’était dans le deal, nous ne sommes pas enfermés » -, et cela n’a pas non plus refroidi leur désir de conquérir des lieux atypiques pour faire des teufs entre potes. Comme avec la 75021. « On pensait vraiment ça comme une réunion de collectifs, et puis c’est surtout des potes ».
« Ça s’est mis en place avec Yoann Till, l’ancien programmateur du 6b. On a lancé l’idée d’un « meeting open air » en août 2012, un open air électronique. On a envoyé un mail à tous les collectifs et au final, on a réuni presque 2500 personnes à Saint Denis. On s’est dit qu’il y avait quelque chose là », relatent les deux hommes. « On a enchaîné avec la Nuit Blanche, sur les trois salles de La Machine, totalement gratuit. Et c’était plus de 2000 personnes ! Avec Yoann, on s’est dit qu’on tenait un truc, qu’il fallait un nom qui corresponde à l’aspect local et qui soit en lien avec le débat de sortir les soirées de Paris ». C’est Guillaume, collaborateur de longue date pour Sntwn, avec Martin également, qui trouvera le nom. 75021 était né.
La première a eu lieu à La Machine le 21/12/2012. Payante et en début de vacances de Noël, le pari était risqué. Au final, 1500 personnes sont venues plonger dans cette techno parisienne bien deep, quasi acid et lourde. Mémorable. « On a eu quelque chose comme 600 likes sur Facebook en trois jours, se souvient Marc, c’était fou. On a monté la deuxième environ trois semaines après, le 13/01/13 au 6b. Puis les autres ont suivi ».
Pourtant, le concept after/club n’est pas une fin en soi pour les deux camarades. « Ce n’est pas forcément le format qui nous correspond le plus. Pour nous, c’est avant tout une question de mettre en avant les collectifs parisiens qu’on kiffe », affirme Marc. « Et on avait pas forcément la place, sur des grosses soirées, de faire jouer des artistes parisiens, qui sont bons en plus », confirme Julien.
La dernière, les 3 et 4 mai, ont réuni près de 3000 personnes sur 24h de fête. « C’est typiquement le genre de soirées que je voulais faire en arrivant, dit Marc. L’atypique, c’est un peu le format parfait ». A l’image des Soukmachines, que pilote de son côté Yoann Till. A la dernière, d’ailleurs, Yoann avait laissé le soin de gérer une « room 75021 » au Sntwn. « On a tendance à l’oublier, mais il faut rappeler que les 75021, c’est vraiment la combinaison de Soukmachines avec Sntwn », répète Marc.
Et au final, qui y est allé ne peut qu’avouer qu’un état d’esprit bien particulier se dégage de ces événements. « Il y a un vrai éclectisme en terme de population, ça brasse aussi bien des concréteux, des geeks de sons, des gens du squat… Et les gens sont ultra respectueux, il n’y a pas de bastons, les gens ne se bousculent pas », analyse Marc. « Il y a aussi un côté revendicatif. Moi les fêtes champagne, ça m’a toujours gavé, envoie Julien. Et puis ça passe aussi par la manière de communiquer sur l’événement : on fait peu de promo, on n’a pas de RP. Et les gens qui sont là ne se prennent pas trop en photos, ne se taguent pas, un peu comme un événement qu’on garde pour soi ».
« Même pour les artistes, ils se mettent un peu la pression parce qu’ils savent que les gens sont réceptifs, rapporte Marc. C’est super motivant pour eux. On a eu des retours de gens qui se sont dits émus, des anciens qui disaient que ça faisait longtemps qu’on avait pas eu ça à Paris. On bosse avec une sécu sympa, qui a fait sa première soirée avec la première Sntwn ! ». Et Julien de compléter : « On veut prendre notre pied là-dedans, donc on ne veut pas en faire deux par mois, on ne veut pas tuer le concept. C’est du travail aussi, ça prend du temps deux semaines avant, et puis il y a La Machine, et nos soirées à côté ».
Et demain ?
D’ailleurs, les projets ne s’arrêtent pas à la prochaine 75021 – qui sera peut-être bien cet été, mais plus au 6b – pour l’équipe Sntwn. Pour la saison prochaine, ils continuent d’occuper ce grand bureau en verre, au primer étage au dessus de La Machine. La finalité est une « sorte de fusion » avec Sinny & Ooko, la structure qui exploite le lieu (mais aussi Le Comptoir Général), afin de mettre sur pied une boite de production où prendra place une agence de booking, une agence de com’, et une structure permettant la production d’événements de différentes ampleurs en France, voire à l’étranger.
« L’année a été dense pour nous, admet Julien, avec beaucoup de fatigue. Ce rapprochement permet de structurer, et donc de ne pas se retrouver dans le jus tout le temps, où tu n’as même plus le temps d’écouter de la musique ! » A terme également, un concept particulier pour La Machine… « On va donner un coup d’accélérateur à La Machine. Cette année, il s’est passé beaucoup de choses, on va confirmer ». Enfin, pour cet automne, l’équipe prévient : il y aura les 5 ans de Sntwn en novembre avec deux ou trois gros plateaux à La Machine et dans un lieu atypique !
En attendant, les gars de Sntwn organisent une bien belle soirée ce samedi soir à La Machine, en invitant avec leurs amis de Smallville et Release The Groove trois labels sur les trois niveaux de la salle. Chacun des orgas invite son « chouchou » comme l’explique Marc : « On a juste eu envie de profiter de la configuration de La Machine pour mettre en avant trois labels, sans aucune tête d’affiche, avec nos amis ».
Ainsi, Smallville invite la house des Suédois d’Aniara dans le Bar à Bulles, avec Genius of Time et Fabian Bruhn, Release The Groove, par ailleurs devenus également co-programmateurs de La Machine, avec Sntwn et Peggy, invitent quant eux l’éclectique label allemand Uncanny Valley à la Chaufferie, avec Jacob Korn, Cuthead et Credit 00, et enfin, Sntwn propose sur le Central les Hollandais de Creme Organization, avec des artistes live Tevo Howard et Orgue Electrique aux atours expérimentaux toujours dansants, ainsi qu’Aroy Dee et TLR, le boss de Creme. « One step forward », toujours.
Jean-Paul Deniaud
Le Soundcloud de Sntwn : https://soundcloud.com/sonotown-1