A l’occasion du Goutez Electronique, rendez-vous incontournable de la scène Nantaise, Input Selector est allé à la rencontre de trois figures montantes du label phare de Dresde, Uncanny Valley.
Émergents tout juste d’une nuit bien mouvementée à la Machine du Moulin Rouge, les trois Dresdois ont sans aucun doute fait l’unanimité auprès du public français. Après les prestations respectives en DJ set et en live de Crédit 00 et Jacob Korn, Cuthead a fermé le bal tout en douceur, au gré du soleil plongeant dans la Loire.
Malgré deux courtes heures de sommeil, Jacob & Alex (Credit 00) nous ont accordé une interview aux abords du skatepark voisin sur fond sonore de leur acolyte Cuthead, éléctrisant alors la foule.
Face au Maillé Brézé, fierté de la flotte maritime française, Jacob Korn & Credit 00 s’ouvrent à Input Selector dans une atmosphère de paix. On perçoit rapidement les nombreuses aspérités des deux personnages, si différents et tellement atypiques, qu’une inévitable promiscuité s’installe entre eux et règne au sein des différentes entités d’Uncanny Valley, le label aux multiples facettes.
INTERVIEW
Jacob Korn : « Je me suis mis à la production dans les années 90. A l’époque je faisais de la techno hardcore. Je pourrais presque jouer ces morceaux aujourd’hui dépitchés à -14% ! Par la suite, c’est devenu plus mélodieux, genre new-jazz. J’ai commencé à rechercher des sonorités particulières, ce qui m’a poussé à programmer mes propres effets. Du coup je me penche plus sur de l’analogique puis je sample pas mal de sons venus du hip-hop ou du jazz. Bien sûr je tape aussi dans la musique des années 70. »
Si Jacob Korn s’est rapidement fait un nom aux quatre coins du globe, ce n’est pas uniquement pour ses prestations live aux sonorités singulières et à la technique maîtrisée. Il ne cesse de se faire remarquer pour ses projets toujours plus innovants. Lors d’un atelier en 2010, Jacob redouble d’inventivité pour mettre en place un dispositif interactif et ludique visant à initier les enfants à la musique et aux harmonies, toujours dans l’idée d’ouvrir une porte à l’imagination.
« On a travaillé avec des caméras pour percevoir les mouvements des gens dans une salle et produire des sons en fonction de leur déplacements..c’était plutôt pour les enfants, un genre d’éveil musical participatif en groupe. »
« Pour être honnête, j’ai toujours détesté la techno! » Credit 00
Diplômé de l’école supérieure d’art de Dresde, Credit 00 a commencé par se faire connaître en tant que DJ avant de s’investir dans le monde de la production.
Credit 00 : « Quand j’étais gosse, je faisais pleurer ma mère quand je jouais Hey Jude des Beatles sur le clavier qu’elle m’avait offert pour Noël. Aujourd’hui, elle ne pleure plus mais elle me demande de baisser le volume quand je lui joue mon son… Sinon, j’étais plutôt dans le hip-hop avant, et j’ai entendu de la techno pour la première fois pendant une love parade. Ça m’avait pas franchement emballé. Pour être honnête, j’ai toujours détesté la techno ! »
Mais l’âme d’artiste de Double 0, insatiable de création, l’a finalement mené à devenir maître de ses propres rythmiques et lignes de basses.
« J’ai un ami qui avait un studio dans sa cave au milieu des années 90. C’est rapidement devenu un mentor pour moi et il m’a initié à programmation avec le 909 mais jamais à ce moment je n ‘imaginais que j’aurais fait de la techno un jour…»
Aujourd’hui, Credit 00 continue à exprimer son talent par la peinture mais s’installe aussi dans une réelle dynamique exploratrice d’univers avec la musique. Aventurier, il nous expose sa vision bien personnelle du processus créatif.
« J’ai étudié l’histoire de l ‘art donc je dispose de bonnes connaissances en la matière. Au final, je deviens plus ou moins formaté dans la manière d’appréhender mon travail. C’est pas le cas de la musique pour laquelle je n’ai aucune théorie au sens académique. C’est ce qui rend le processus plus excitant. Tu t’ouvres à un univers qui t’es inconnu. En fait tu marches au fil du son. T’appuies ici et là, puis tu tournes ce potard et tu te dis….Mais ouais ! »
Le son d’une belle histoire
Dans la plus grande humilité, les deux confrères s’accordent entre pinceaux et spatules, peinture hypothétique d’un morceau sucré-salé…
« C’est vraiment une question d’équilibre. L’important dans la production, c’est d’atteindre ce point d’effet entre savoir et compétences techniques. Bien sûr, il y a aussi la partie instinctive à prendre en compte, c’est une histoire de feeling. L’impulsion qui t’embarque dans une spirale novatrice. C’est comme un gosse devant sa feuille blanche, avant de faire un dessin, il sait pas vraiment s’il va prendre des crayons, des feutres, ni quelles couleurs choisir, et il se laisse porter par le fil de la création… ou même une soupe, il y a toujours du sel & du poivre mais ce sont les ingrédients qui en font quelque chose d’unique. C’est ça, c’est la vraie idée derrière l’art de manière générale. »
Œuvrant principalement en DJ set, Credit 00 commence progressivement à se rallier à la cause défendue par Jacob Korn, celle du live. Bien qu’équipé d’un lourd bagage en termes de représentations live, Jacob se remet systématiquement en question afin de proposer des performances toujours plus variées.
Credit 00 : « Jacob en sait beaucoup plus que moi la dessus ! J’ai uniquement fait trois ou quatre live jusqu’ici. Je joue live en studio bien sûr mais tu sais comment c’est : quand t’es tout seul devant ton matos, tout fonctionne à merveille, puis lors de ta performance live, tu te retrouves à avoir une machine qui foire mais ça fait partie des aléas du live ! »
JK : « Le plus gros de travail c’est de rendre le truc attrayant en terme de performance. Il faut faire en sorte que toutes tes pistes soient modulables sur mesure, selon tes préférences. Le travail en amont n’est vraiment pas négligeable. J’essaie de réduire au maximum mon spectre d’erreur parce que je suis perfectionniste bien que les écarts restent un aspect intéressant du live.
De toute façon, tu es obligé de te limiter. Jusqu’à preuve du contraire, tu n’as que deux mains. Je fais en sorte de pouvoir assigner un maximum de paramètres mais dans l’ensemble tu dois aussi réfléchir à ton champ de possibilité en terme d’exécution. »
Jacob est féru de matériel analogique. Il dispose d’une large gamme de machines pour donner à sa musique la diversité qu’il souhaite y apporter aussi bien par l’univers musicale que par la dimension esthétique.
Credit 00 : « Jacob c’est le genre de mec qui voit un synthé qu’il essaie deux minutes, il se dit « ouais pas mal ». Le lendemain tu te pointes chez lui et tu le retrouves avec. En même temps, parfois t’achètes un 61 touches et le son que t’en sors se résume à bip ….bip ? »
Credit 00 affiche une image plus archaïque de la création. Il se plaît à chiner du matériel à l’ancienne et se limite à un nombre réduit de machines bon marché dont il cherche à exploiter le maximum des capacités.

La 707 d’Alex aka Credit 00
« La plupart de mes synthés sont pétés, tout comme mon son »
« J’ai jamais vraiment revendu mes machines, premièrement parce que j’suis trop fainéant pour le faire mais surtout parce qu’elles ont toutes un sens à mes yeux. Certaines sont mêmes cassées mais je ne m’en séparerai pas ! Ca me fait penser à un pote, Perttu Häkkinen, un artiste finlandais qui fait du son sous le nom de Randy Barracuda, philosophe à ses heures perdues. C’est le genre de mec qui a toujours le mot juste. Un jour, pour décrire sa musique, il a dit « La plupart de mes synthés sont pétés, tout comme mon son ». »
La scène électronique, des 90’s à nos jours
Élevés au 909 et engraissés aux basses acides, Jacob & 00 nous proposent une petite analyse rétrospective de la scène électronique et de ses mutations au cours des vingts dernières années. L’inévitable retour aux années 90 est en marche et ne cesse de séduire…à nouveau.
Credit 00 : « J’suis content que ça tourne de la sorte. Aujourd’hui je peux ressortir mes vieux » Dance Mania » et les jouer à -7. C’est un de mes labels préférés et les gens recommencent à allez chiner ce genre de skeuds dans les occases des records shops. Quelques années plus tôt, personne n’avait envie d’entendre ce genre de trucs . A l’époque les gens se disaient « c’est quoi cette daube, les vocals sont complètement dégueulasses » et aujourd’hui, ça revient… C’est vraiment de la musique littéralement minimale. Du kick-clap avec une voix genre « bitch oh oh bitch bitch oho » mais les gens ne sentent plus offensés par ce genre de paroles. »
JK : « Bitch a une connotation positive, non ? »
Credit 00 : « C’est volontairement décalé. Il faut une grosse part d’auto-dérision dans la vie…c’est valable pour la danse, le sexe, la musique…bref tout ! J’ai lu ça quelque part et ça me parle vraiment . Faut pas se prendre au sérieux ! Et si tu peux vraiment pas trouver cette part d’ironie dans la vie, tu peux oublier toute interaction avec quelconque être humain… Bref faut vraiment se marrer pendant qu’on est là parce qu’on s’aperçoit vite qu’on est un truc infime dans l’univers, et ça fait quand même relativiser quant à notre existence. »
Le podcast de Credit 00 pour Input Selector (2012)
Bienfaits et méfaits d’une société « d’artistes ». Un pas vers la mort de l’art ?
Si les puristes sont encore loin de tourner le dos à leurs Mk2, les nouveaux entrants fleurissent et peuvent proposer des mix techniquement parfaits avec des logiciels comme Traktor entre autres. L’abaissement des barrières techniques a provoqué une brèche dans le monde de la production et du mix offrant à quiconque la possibilité de s’improviser DJ.
Credit 00 : « Aujourd’hui, un simple ordinateur suffit. Dans n’importe quelle soirée appart’, y’a un moment ou tout le monde veut mettre son propre son » mets ci, mets ça ! » et je t’avoue que ça me saoule un peu.
La production devient accessible à tous, du coup il y a un afflux plus important de nouveautés mais beaucoup de déchets dans tout ça. Dans l’ensemble tu dois avoir 90% de merde et 10% de trucs bien. Ça a toujours été le cas cela dit…
Ça me rappelle ce festival dans les rues de Dresde où chaque maison a son propre sound system, et j’entends vraiment chacune d’entre elle ! T’as des mecs au balcon avec leur laptop en train d’envoyer du son et c’est un peu leur moment de gloire puisqu’il peuvent finalement jouer les Richie Hawtin l’espace d’un set. C’était pas comme ça 6 ans en arrière. Il y avait déjà beaucoup de Djs mais tout le monde achetait ses skeuds à l’époque et ça impliquait un investissement plus important et certainement plus de rigueur dans la sélection. »
La liberté d’expression des artistes se voit entravée au fur et à mesure à l’instar de DJ Shadow qui s’est vu congédié d’un club de Miami en plein set parce que sa playlist n’était par au goût du public. Andres a plus ou moins subit le même sort à Détroit lorsqu’il a joué un set hip-hop, les gens n’étaient pas réceptifs. Pourtant il s’agit bien du même mec, des mêmes samples, beats etc..
Credit 00 : « C’est normal que les gens soient déçus par moment mais bon, il ne peut pas y avoir de teuf sans ces gens qui s’ambiancent facilement sans se poser trop de question sur la playlist. Du moment qu’il y a un groove, et que ça donne envie de danser. En fait ce sont le gens » cools » qui s’en plaignent. Si t’as envie de jouer un skeud, même s’il paraît ringard pour plein de gens, peu importe ! On a besoin des party people. Sinon tout les nerds seraient juste sur leur iphones sur discogs en train de dire « ouais j’connais ce son c’est vieux, c’est nase… »
Petite anecdote en passant : c’est celle d’un pote DJ en plein set. Une nana se ramène avec son iphone à la main, complètement dépitée, elle lui dit « C’est quoi ça ? Shazam reconnaît pas ce son ! ». Du genre « MEC ! Tu peux pas jouer cette track, elle n’existe pas ! » »
DJ Facepalm décline gentiment une proposition indécente
JK : C’est un peu le cas de certaines Boiler Room où on voit les gens sur leurs smartphones en fond..
Credit 00 : « Sigmund Freud aurait écrit un bouquin la dessus ! Regarde les gens pendant les boilers, ça mérite une étude comportementale ! Ils sont collés au dos du DJ qui est lui même face à une caméra et…un mur. Tu trouves pas ça bizarre ? »
JK : « Je pense qu’il y a un aspect éducatif dans tout ça. Le monde entier peut voir comment leurs artistes préférés articulent leur performance. Que ce soit en live ou en DJ set, ça reste intéressant à voir.
Sans compter que tu touches une cible plus large, tu te fais connaître par des gens qui ne sont initialement pas dans ton univers musical, donc c’est un vrai point positif ! »
Et c’est sur la Boiler Room de Jacob Korn que s’achève cette entrevue avec les gars d’Uncanny Valley.
Un grand Merci à eux !
Jacob Korn
jacobkorn.de
soundcloud.com/jacob-korn
Credit 00
soundcloud.com/credit-00
Cuthead :
soundcloud.com/cuthead
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