Nous connaissons tous le problème le samedi soir, où cette rencontre avec quelques amis dans un pub se transforme peu à peu en grosse sortie : où pourrions-nous sortir ? Quelles options ?
« Ah j’ai entendu parler de cette soirée » ou « le club [insérer nom] est toujours une valeur sûre », des discussions âpres peuvent en résulter, et il est courant de faire quelques déçus, ou de vivre quelques surprises. Je me souviens de cette fois où j’avais débarqué avec deux amies dans un club, pour nous voir refuser l’entrée car ce soir là était interdit aux femmes ! Il est en tout cas difficile aujourd’hui de faire un choix, la bouillonnante scène berlinoise offre par exemple des centaines de soirées chaque week-end, certaines avec un line up dépassant plus d’une vingtaine de Djs.
Les fondateurs de Beatguide l’ont bien compris, « nous sommes submergés par ce flot d’informations ». Tino Ehrich raconte que lors d’un passage à Londres, devant le gigantisme de la ville, et sans aide pour lui indiquer où se trouvaient les bonnes soirées, il avait finalement dû renoncer à sortir. C’est finalement un mal pour un bien, car c’est après cette mauvaise expérience que lui est venue l’idée de créer Beatguide : une application désormais disponible sur le web ainsi que sur Iphone. Lancée depuis le début de l’année 2013, les événements, artistes, et lieux axés sur la musique électronique sont agréablement présentés et accompagnés d’un lien permanent vers la musique (grâce à un player intégré). À l’occasion d’un dîner (Vegan, Berlin oblige), nous avons eu la chance de rencontrer Tino Ehrich et Brendon Blackwell, deux des trois fondateurs de Beatguide. Retranscription de cet entretien résolument « techno-logique » avec deux nerds partageant une même passion pour la musique électronique.
Quelle est l’idée derrière Beatguide?
Tino : Nous nous sommes rendus compte que nous sommes perdus dans les choix que nous pouvons avoir. Il y a à l’heure actuelle tellement d’informations qu’il faut un filtre. Nous avons décidé de créer ce filtre avec Beatguide. Par exemple : « vous suivez ces artistes, et nous vous disons ok, vous devriez allez à cette soirée ». Donc au lieu de devoir parcourir une centaine d’événements pour Berlin, vous en recevez une vingtaine. Nous sommes en constante évolution, toujours en train d’essayer de nous améliorer. Il y a quelque chose de nouveau chaque jour, des nouvelles fonctions en permanence.
Vous avez un exemple ?
Brendon : Récemment nous avons ajouté la possibilité de voir où les artistes vont jouer chaque soir, on peut donc maintenant voir les événements par artistes. Nous sommes en train de nous développer, il y a un bon nombre de fonctions excellentes que nous n’avons pas encore mais que nous souhaitons implémenter. Cette semaine sortait les nouvelles villes : Paris, Barcelone, Ibiza, San Francisco et Londres. À noter qu’il y a une localisation, par exemple Paris sera proposé en français sur le site et sur l’application. Nous sommes au début, il faut savoir qu’il y a un grand nombre de plate-formes pour les événements, pour les concerts tout d’abord.
Mais vous avez décidé de traiter uniquement la musique électronique ?
Brendon : Nombreux sont ceux qui pensent la musique électronique comme une sorte de niche qui ne requiert pas d’attention particulière, et qu’ils arrivent à rentrer d’une certaine manière dans une catégorie de leur guide. Mais c’est en fait complètement faux, c’est une niche, mais c’est “mega”, c’est partout, et cela mérite sa propre plate-forme. La musique électronique n’est plus ce truc des années 90, cette “phase”. Ce que nous faisons c’est essayer de lui donner la plate-forme qu’elle mérite. Nous allons nous focaliser uniquement sur ce type de musique, car c’est totalement différent, les réactions y sont totalement différentes. Et puis plus simplement, parce que c’est la musique que j’aime, mes raisons pour créer Beatguide ne sont pas entièrement désintéressées (rires).
En quoi Beatguide apporte quelque chose par rapport à Resident Advisor par exemple ?
Brendon : nous voulons aller au-delà du : « je veux sortir ce soir, qui joue où ? », « comment trouver la prochaine soirée ?, « sur quel label est cet artiste ?, « où puis-je écouter sa musique, où puis-je trouver tout cela ? » Nous essayons de faire le lien, et c’est pour cela que la musique est notre principal outil pour vous guider. Parfois vous avez un line up avec une quarantaine de Djs et vous n’en connaissez pas un seul. La musique électronique est moins centrée autour des noms. Nous connaissons beaucoup de DJs, mais la plupart des gens non. Par contre ils savent ce qu’ils aiment, ils connaissent aussi les clubs qu’ils aiment, si certains clubs jouent un style spécifique. Une autre chose que l’on souhaite aussi implémenter, ce sont les labels. Un label comme CLR par exemple va avoir un style particulier, les gens pourront ainsi s’aider de cette information supplémentaire pour former une décision. C’est vraiment intéressant, c’est un moyen de trouver de nouveaux artistes que l’on aime.
Oui, la question est un peu : comment je devrais m’y prendre pour les connaître? Donc votre but principal est finalement de faire découvrir aux gens de la nouvelle musique?
Brendon : Nous avons vraiment vu, et ceci n’est pas limité à la musique électronique, mais à la musique en général, que les artistes ont tendance à promouvoir leur musique à un endroit (soundcloud), et leurs events sur facebook, et c’ est vraiment maladroit pour de nombreuses raisons. Les jours où l’on vendait des disques sont terminés, et il vous faut promouvoir votre image en un seul lieu. Vous pressez Beatguide, vous écoutez la musique, « ça sonne bien, ok je vais y aller ce week-end ». Et si vous êtes à une soirée et que vous pensez : « ah mais c est cool ça, j’aime vraiment ce type », vous pouvez aussi aller sur Beatguide pour trouver qui c’est, et ainsi avoir accès à sa musique. C’est vraiment un aller-retour.
C’est vrai qu’il m’arrive souvent de m’arrêter devant des affiches en me disant « je n’ai aucune idée de ce que cette soirée pourrait donner ».
Brendon : parfois vous pouvez avoir un line up d’une quarantaine de DJs et vous n’en connaissez pas un seul. C’est toujours autour de la découverte, toujours pour trouver des nouveaux sons, et il est aussi difficile de se souvenir de tout. Lorsque vous voyez un artiste que vous aimez dans un club, même si vous demandez autour qui est le DJ, ou même parfois directement au DJ lui-même, mais : « who are you ? ».
Vous avez mentionné les labels, vous pouvez développer ?
Brendon : En ce moment, nous ne sommes pas encore vraiment bons sur les labels, mais nous voulons en faire une grosse fonction dans le futur. Pour que la célébrité de Chris Liebing par exemple puisse rayonner sur d’autres de son label, cela, toujours pour aider les gens à faire leur choix.
Tino : Avoir le bon tuyau, c’est ce que vous cherchez. Je me souviens de cette discussion avec quelqu’un de très érudit musicalement, et il avait essayé de m’éduquer sur les labels, etc. Nous n’étions pas du tout d accord, il m’avait dit : « ce n’est pas comme cela que la musique marche, on a toujours besoin de rencontres, d’amis, et ce sont eux qui vont vous introduire à de nouveaux genres, vous faire découvrir des artistes auparavant inconnus. ».
Et en général, je dirais que je ne suis pas du tout d accord avec lui. Oui, c’était probablement le cas lorsque internet n’existait pas, mais de nos jours, parce que je ne connais personne qui s’intéresse à la musique électronique, je serais donc fatalement obligé d’écouter du rock? Non, je ne le suis pas. C’est pour cela que je vois l’utilité d’un outil qui peut m’aider à faire la connexion, à prendre la décision, en me permettant de pré-écouter un artiste avant de le voir en club. Il y a juste différentes routes pour atteindre la musique et les artistes, et c’est ce que j’entends lorsque je parle de créer des filtres avec Beatguide.
Le contenu musical disponible sur Beatguide est issu de Soundcloud, est-ce que vous allez ajouter d’autres sources ? Youtube par exemple ?
Brendon : Nous avons une intégration Youtube prévue, Vimeo aussi pour ceux qui aiment les vidéos de meilleure qualité.
Tino : Nous pensons juste que la musique est l’élément le plus important pour choisir un événement, et pas par exemple ces textes « créatifs » que l’on peut voir sur de nombreux events.
Lorsque j’ai testé l’application, j’ai vraiment apprécié la fonction carte qui montre où se trouvent toutes les soirées autour de nous. Ces points rouges un peu partout à Berlin, et je me suis dit ça c’est vraiment un bon moyen pour découvrir de nouveaux lieux. Par contre j’ai aussi pensé « pff… encore une nouvelle plate-forme avec laquelle naviguer ».
Brendon : C’est vraiment le problème pour chaque nouvelle plate-forme… « Oh ! Encore un truc de plus à utiliser ! ». Nous y avons vraiment réfléchi, mais nous ne voulons pas ajouter quelque chose à ce flot [ou flux] . Nous essayons justement de faire l’opposé. Évidemment c’est un outil supplémentaire à utiliser, mais nous pensons que si c’est vraiment fait de la bonne manière, cela en vaut la peine. Nous écoutons toutes les requêtes, que ce soit du côté des promoteurs ou des utilisateurs, afin de pouvoir atteindre toutes les fonctions dont ils ont besoin, afin qu’ils puissent se dire « oh, c’est l’heure pour un peu de musique, on va regarder sur Beatguide ».
Tino : Beaucoup ont des préjugés, c’est assez intéressant car si vous prenez le temps de vous asseoir et de discuter un peu, soudainement ils réalisent ce que vous faites et ils sont intéressés. Il faut parvenir à sauter quelques obstacles. Nous sommes parfois devant un mur d’informations, mais je pense que la qualité parvient à dépasser ce mur.
Brendon : Il faut que ce soit fait de la bonne manière, l’exécution est la clef. Chez les personnes à qui on en parle, il y a beaucoup de scepticisme car il y a déjà à l’heure actuelle beaucoup de guides. Mais ce sont juste des listes, et ils tentent de surfer sur quelque chose et de le commercialiser. Nous nous situons à l’extrême opposé de tout ça, on ne veut surtout pas mettre de la pub partout, par exemple sur les events du Berghain ou du Rex. De toutes façons cela ne fonctionnerait pas, en tout cas pour Berlin, car les clubs d’ici sentent l’utilisation commerciale à des kilomètres.
En tout cas, il ne fait aucun doute que vous êtes des passionnés.
Tino : Ce projet c’est un peu mon bébé, je travaille dessus depuis des années maintenant.
Brendon : Nous sommes des nerds, et nous adorons ce que nous faisons. J’ai essayé d’être DJ lorsque j’étais plus jeune, mais je me suis rendu compte bien vite que ça ne fonctionnait pas. J’adore coder, je suis un codeur, donc dans une démarche très égoïste, j’ai décidé de rassembler ma passion pour la musique électronique et les codes (rires).
Beatguide : beatguide.me
Disponible sur Iphone : appstore.com/beatguide