Il est parfois difficile d’aller aussi vite que la musique. Réalisée en octobre sur la terrasse gelée de la Green Room Session, nous n’avons pas réussi à publier cette interview plus tôt ; entre temps, S3A a sorti un EP sur Local Talk, préparé un EP pour Hold Youth, annoncé un track sur Faces et un remix de Laurent Garnier, bref, quasiment doublé l’épaisseur de sa discographie.
Les propos recueillis dessinent pourtant un portrait en creux de S3A qui conserve quelque pertinence quatre mois plus tard. Montés thématiquement et sans lissage excessif, ils donnent un aperçu fidèle de la conversation à trois voix que nous avons eu ce soir là.
Emotionnel, Dynamique et Vivant
« J’utilise en moyenne une petite trentaine de samples par morceau, ça peut monter jusqu’à 50 ou plu set au début, je me disais, Sampling As An art, ça ne sera que ça : que du sample. Au final, je me rends compte que plus je me laisse aller, moins je réfléchis mes trucs, plus je m’éclate – plus j’avance et moins j’utilise de sample mine de rien, plus je fais de synthé, de vrais synthés.(…) Après bien sûr, il y aura toujours une base de sample, parce que je crois vraiment à tout ce qui est charley enregistré directement d’un vinyle, je trouve que ça a vachement de chaleur, ça décale un peu, c’est cool de bosser là dessus, y a de la texture, y a de la matière en fait. (…)
J’essaie de pas faire du Photoshop, j’essaie de jouer – c’est pour ça qu’il y a des trucs au final qui semblent peut être un peu plus vivants, parce que je fais des approximations, que je ne corrige pas volontairement. Après, c’est juste un truc à assumer – je n’aurais pas pu le faire avant 30 ans, parce que je me serais dit : » Nan, c’est super chaud ».
C’est comme pour mes mixes. On dit souvent qu’ils ne sont pas utlra carrés, c’est clair. Je préfère largement faire 5 minutes à 3 platines où je suis en train de sauter partout, et là ouais y a forcément un pain. C’est pour ça que je fais deux types de mixes. Ceux qui sont enregistrés en Live (non retouché, brut…) et les mixes concept (sequensés, accordés, retouchés de sorte à les rendre parfaits)
(…) Moi le côté Traktor me fait chier. Je ne crois pas au coté pieuvre de 8 platines précalées… On pert l’esprit des morceaux je trouve. Je cherche vraiment à faire quelque chose qui soit émotionnel, dynamique, vivant. »
Sur l’importance de la composition
« Underground Resistance par exemple, il y a vraiment un côté où je trouve les son musique un peu « kitch », c’est comme si tu faisais de la trompette avec un synthé – y a un moment donné où tu te dis : c’est moche, et tu te dis : prenez un mec qui fait de la trompette. Mais ils ont une charge émotionnelle qui n’est pas possible. 19 novembre 2005, Cabaret Sauvage, Los Hermanos et UR en live avec Laurent Garnier, je pleurais ma mère, je pleurais ma race. Et pourtant je déteste Jaguar, c’est un morceau que je trouve trop fédérateur, pourtant au final dans l’ambiance, avec les mecs qui jouent vraiment…c’est genial…Comme Amazone, Hi tech Jazz pour ne citer que ceux là…Mais en fait c’est ça le vrai truc : c’est faire de la musique. Seuil : 15 ans de piano, y a pas de secret. Sois tu fais du Photoshop, soit tu fais de la musique. (…)
Sur sa conception du bon sample
« Je trouve que le bon sample c’est celui qui…(il hésite ; soupire) – écoute, y en a pas de mauvais. Tu sais que James Blake il a fait un album qui s’appelle CMYK sur R&S – qui est juste quand même un gros label techno – avec presque que des samples vocaux de R & B, et j’avais lu quelque part qu’il avait fait ça exprès pour montrer qu’avec ces voix là on pouvait faire des trucs bien en fait. (…) Après c’est clair que là on parle beaucoup de Miley Cyrus, je prendrais pas un truc de Miley Sirus, faut pas déconner, faut être cohérent aussi. (…) »
Sur l’influence de Saint Germain et son rapport au Jazz
« Sur le Bastien EP qui va sortir, y a un truc que j’ai dédié à Saint Germain, clairement – c’est du sample avec ma 909 et puis voilà. Ca va continuer. Au final, je sample ce que j’écoute – ça fait un petit moment que j’écoute pas mal de jazz. Après je ne suis pas très vieux vieux jazz, je dois l’accorder, les années 50 ce n’est pas ce que je préfère. J’aime beaucoup Robert Glasper aujourd’hui, je suis fan de ce mec là, je trouve qu’il fait exactement le bon mélange entre le hip hop et le jazz. Je ne sais pas si tu as entendu le dernier album, il s’appelle Black Radio Vol2, vas y les yeux fermés – je l’ai acheté en vinyle à Rush Hour.(…) »
Sur les différentes facettes de S3A
« Je pense que j’ai déstabilisé les gens entre le Phonogramme 2, Eva Ep, et Phonogramme 8. En fait y a un truc que j’aimerais bien que vous disiez, c’est que je crois ne pas au côté artiste à 100% « ouais moi j’ai ma vision, je suis un génie bla bla bla » – ça se saurait, il n’y a que très peu d’Aphex Twin. C’est du travail, des convictions et du feeling… Par contre, ce en quoi je crois vraiment, c’est une vraie rencontre en un label et un artiste : donc entre un mec qui a une direction/vision du message artistique qu’il veux vehiculer et l’artiste en fait, et là pour le coup ma vision.
Et donc les tracks que je fais pour Hold Youth sont carrément pas differents que ceux que je fais pour phonogramme. C’est ce que j’ai dit encore à Pablo y a deux heures, je lui ai dit : Pour l’instant je ne t’envoie pas grand chose, c’est normal, parce que je ne sens pas que c’est pour toi. Le Lazare Hoche, pareil, on en a chié pour le terminer – mais comme les Hold Youth d’ailleurs ! Donc toi c’est un track pour un label, un contexte (…) Exactement. »
Sur son remix de Rick Wade
« Un jour Seuil m’appelle et il me fait « Ecoute, J’ai une place pour un remix sur Hold Youth, je t’envoie le morceau ». J’ai tout de suite vu ce que j’allais faire, c’est-à-dire utiliser le ti-ti-ti avec des violons et un beat syncopé. Après, j’y ai rajouté des ambiances un peu glaukos, un peu triste, pour le dé-rickawidser, je voulais pas que ça y ressemble en fait. Avec les approximations de mixage que j’avais à l’époque, ça donnait un truc un peu crade, un peu ronronnant. »
La musique, le devoir du choix (outro)
« En musique, la seule chose qui nous reste au final, c’est le choix : on a le choix de ne pas supporter tout ce qu’on nous met dans les oreilles toute la journée, de ne pas regarder Energie 12, on a le choix. Je suis désolé, Mac Do, t’as pas le choix – un jour t’as faim t’es a la gare, il est 23H, tu y vas. La musique, c’est complètement différent : c’est abjecte que la base de la création musicale soit un chef de projet marketing ou un objectif de tenue de revenus par rapport a l’année N-1. Je trouve ça incompréhensible. »
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