Photo © Institut du Monde Arabe
La récente association de l’Institut du Monde Arabe avec la musique électronique a de quoi attiser la curiosité d’un public toujours en quête de nouveautés. Et quoi de plus logique pour l’IMA, qui a depuis un an comme président l’ancien ministre de la Culture et père de la techno parade, Jack Lang, que de s’ouvrir à des événements électroniques de ce type ?
L’IMA, c’est aujourd’hui un condensé de modernité et de cultures traditionnelles orientales. Nul doute que l’architecture de ce centre culturel peut servir de théâtre aux programmations modernes que sont aujourd’hui les musiques électroniques.
Nous avons eu la chance de poser quelques questions au collectif Arabic Sound System (véritable moteur en matière d’hybridité musicale) et à Jack Lang, président de l’IMA afin de parler de ce premier évènement, qui pourrait bien connaître plusieurs suites. L’ancien ministre de la culture évoque également le Weather Festival dont l’ouverture aura lieu sur le parvis de l’IMA début juin.
Le Weather Festival, organisé par Surprize, l’équipe derrière les célèbres afters et désormais soirées Concrete, y démarreront leur festival de quatre jours avec le légendaire label Undergound Resistance, avant de prendre la route de plusieurs sites. Dont un monumental plateau au parc des expos du Bourget.
Pour le collectif organisateur, « l’association entre Arabic Sound System et l’IMA s’est déroulée de manière très naturelle ». Et ce, autour d’un objectif commun : « faire de la musique un dialogue culturel en utilisant un lieu atypique comme vecteur ».
Sur place, une grande exposition musicale et visuelle, soutenue par une coproduction entre deux entités qui se disent « unies dans la volonté de mettre en avant les sonorités épicées et acides du monde arabe, ce qu’illustre la diversité de sa culture. » Il s’agit alors de mettre en avant « l’alliance entre musique électronique et musique arabe, un melting pot des genres et des provenances, représentant un mélange de cultures qui trouve tout son sens au moment de l’écoute… »
Enfin, selon Arabic Sound System, « rien n’aurait été possible sans Jack Lang » qu’ils qualifient de « surfeur qui suit la vague de la vibe ». Bien rock’n’roll, le Jack, en tout cas assez pour nous accorder quelques minutes et répondre à nos questions.
Interview par Jean Paul Deniaud.
Vous êtes à la tête de l’IMA depuis peu de temps finalement, comment se passe l’installation depuis que vous y êtes arrivé ?
Vous savez, moi j’aime imaginer, changer, faire bouger les choses, c’est mon tempérament. On m’a nommé voici un an à la tête de l’Institut du Monde Arabe. C’est une magnifique institution, unique au monde. C’est un pont jeté entre l’Orient et le monde européen et notamment la France. Il y avait beaucoup de changements à faire, on a pris le taureau par les cornes et l’année 2014 va être je crois une année-phare, avec l’organisation de toute une série d’événements. Et nous voulons changer aussi la vie musicale à l’intérieur de l’Institut du Monde Arabe…
Cette ouverture musicale faisait partie de vos ambitions en arrivant ?
Absolument. La musique traditionnelle arabe était déjà très présente à l’Institut du Monde Arabe, souvent d’ailleurs très reconnue, avec des artistes de très haute qualité. Mais les musiques d’aujourd’hui étaient, non totalement absentes, mais trop peu présentes. Donc j’ai souhaité avec l’équipe redonner un petit coup de jeune à tout ça. Et cette semaine donc, le premier événement sera lié à la musique électronique, sous le nom de « Arab Sound System » (sic), une expression qui a été inventée pour l’occasion. C’est d’ailleurs une expression qui demeurera si nous réussissons, dans la nuit de vendredi à samedi, notre projet de mettre l’IMA en fête, en musique électronique. Alors, on rééditera l’événement avec d’autres artistes.
C’est donc un événement qui pourra être pérenne ou en tout cas récurrent ?
Tout à fait, si ce n’est que vous allez peut-être assister à la naissance d’un événement, je ne dis pas historique, mais du XXIème siècle nouveau.
Comment pensez-vous que va se passer la rencontre entre un public qui va voir Acid Arab, qui va participer à l’événement, et puis « les murs » de l’IMA, le personnel même, je ne sais pas s’il sera présent ?
Oh, ça se passera bien, je pense que ça se passera très bien même. C’est une maison accueillante, généreuse, ouverte et je suis certain que les visiteurs, les spectateurs, les artistes… D’ailleurs, en ce moment où nous parlons, il y a déjà des artistes qui sont en train de transformer les lieux, comme la salle Hypostyle. Elle est habillée par Hosni Shoof, qui est un artiste graffeur tunisien, d’origine tunisienne. Dans un des patios, on installe une bulle, qui sera une bulle éphémère et géodésique qui permettra d’imaginer une nouvelle expérience, à la fois physique et musicale. Donc, déjà, les choses se mettent en place au moment où je vous parle.
Et l’objectif précisément de cette initiative, c’est d’ouvrir l’Institut du Monde Arabe à un nouveau public, à faire connaître l’Institut aux plus jeunes ? Quelle est l’ambition de cette ouverture ?
L’Institut du Monde Arabe est l’Institut de toutes les cultures et pas seulement de la culture traditionnelle ou de la culture littéraire. Il doit être l’Institut de toutes les cultures, du monde arabe et plus largement de toutes les cultures du monde. Donc, la musique électronique y a sa place. Alors vendredi soir, c’est une première, mais nous avons bien l’intention de rééditer la chose. Par exemple, début juin, nous ferons partie de l’événement Weather Festival, qui frappera si j’ose dire ses trois coups à l’Institut du Monde Arabe le 6 juin. Et dans l’intervalle, il y aura d’autres échanges, d’autres rencontres, d’autres manifestations. Et même, je pars au lendemain de l’événement [de vendredi, ndlr]. Je vais en Tunisie participer à un événement électronique qui a lieu dans le sud du pays [Les Dunes Electroniques, ndlr].
Comment se fait le pont entre un festival comme Weather, avec des artistes qui joueront sur le parvis de l’IMA sans être forcément rattachés aux cultures arabes, et l’Institut ?
Dans le monde arabe aujourd’hui, il y a – et on ne les connait pas toujours assez – notamment à la faveur des Printemps arabes, des artistes, des créateurs, des musiciens très doués. D’ailleurs dans la programmation de ce vendredi, certains des artistes sont d’origine arabe, je pense à Anouar, Nazal, Shoof dont je vous ai dit un mot il y a un instant. Donc on va entremêler justement, métisser la musique d’ici, la musique d’ailleurs. Et puis il y a aussi des Franco-arabes aussi, aujourd’hui à l’affiche. C’est une des chances de la France d’être dans cette richesse humaine et artistique.
La musique électronique, c’est vraiment votre patte finalement. C’est quelque chose que vous suivez depuis le début, la techno parade, et maintenant à l’IMA. Pourquoi est-ce important pour vous de véhiculer ces musiques « modernes » ?
Là où j’ai la chance d’exercer une action, je pense qu’il faut faire tomber les cloisons. Il faut essayer d’ouvrir, de mélanger, je le répète de métisser. Le monde qui se construit en ce moment est aussi un monde du métissage, du mélange. Pas un mélange gris ou triste, mais un mélange coloré, éclatant, décapant ! Alors ensuite, mon intérêt pour la musique électronique remonte à très loin. Il remonte à ces musiques savantes qui ont surgi dans les années très anciennes, je pense au centre de recherche de la radio française, le GRM, où il y avait un type qui s’appelait Pierre Schaeffer, un génie de la musique électronique. Puis ensuite j’ai suivi les recherches des uns et des autres. J’aime beaucoup la musique répétitive, et tout ce qui a été fait dans l’institut de Pierre Boulez. Et tant d’autres artistes…
Alors, Arabic Sound System se passe dans les murs de l’IMA, comment ont réagi les personnels de l’Institut, qui sont aussi des gens qui sont aussi des chercheurs, plutôt habitués au calme, à un cadre studieux ?
Avec une certaine forme de curiosité, d’impatience, de bonheur je crois, oui ! Je pense que les choses vont se mélanger harmonieusement. Je le pense, je le crois, peut-être suis-je toujours optimiste ! Et je pense que petit à petit, l’IMA devra s’imprégner de la culture contemporaine.
Des musiques seulement électroniques alors, ou peut-être aussi des groupes de rock… ?
Oui, absolument. Et aussi du hip hop, le rap, d’autres formes de musique… Par exemple, même si c’est différent, le festival musical qui a lieu chaque année à l’IMA sera cette année tourné vers le jazz oriental. Et André Manoukian en sera le parrain et le premier interprète.
Vous parlez de métissage, donc ce n’est pas uniquement les cultures arabes, les musiques arabes, il s’agit vraiment de mixité…
C’est l’Institut du Monde Arabe, mais le monde arabe est présent partout, il est présent en Amérique latine, en Afrique, en Asie, en Europe, et aujourd’hui, c’est ce qui est passionnant dans l’époque que nous vivons, c’est que se tissent des liens entre des artistes, qui d’ailleurs ne se définissent pas d’abord par leur nationalité mais par leur histoire, leur talent, leur capacité d’invention. Et il y a des croisements, des jumelages. C’est même très impressionnant de voir à quel point aujourd’hui, les artistes du Maroc, de Tunisie ont des liens avec des artistes français ou allemands ou américains. C’est vraiment une des choses les plus passionnantes de la période que nous vivons.
Vous parliez tout à l’heure des projets futurs dans cette nouvelle dynamique, est-ce qu’on peut évoquer ce qui est prévu pour 2014 et ce qui sera récurrent ou pérenne ?
Pour 2014 il y a trois événements importants, c’est d’ailleurs la première fois je crois que dans une même année on organise à l’IMA trois expositions-événements de taille importante. D’abord l’Orient-Express, qui permettra de traverser l’histoire, la littérature le cinéma, la musique au travers de ce voyage à bord du train mythique : les wagons de l’Orient Express seront installés sur le parvis de l’IMA. Ensuite, ce sera une autre voyage auquel les visiteurs seront invités, un voyage plus proche de la spiritualité à travers le pèlerinage de la Mecque, rituel qui concerne des millions et des millions de gens à travers le monde. Et puis, dans la dernière partie de l’année, nous allons dédier la totalité de l’IMA au Maroc d’aujourd’hui, pour mettre en lumière toutes les scènes récentes, la vitalité marocaine dans tous les domaines de la création. Et nous établirons d’ailleurs un lien étroit avec une autre grande institution, le Louvre, qui elle organisera une manifestation sur le Maroc médiéval. Donc il y aura un lien entre le Maroc des racines, et les fleurs de la movida marocaine.
C’est assez fascinant, vous qui étiez ministre de la Culture, de vous voir toujours marier la culture, au sens le plus large et le plus fort du terme, avec la fête. Ce qui n’est pas forcément évident…
Oui, on ne se change pas, vous savez ! Dans mes expériences successives, ce que vous appelez « la fête », c’est-à-dire la notion de la rencontre, de l’échange, dans l’immersion ici ou là, ne m’a jamais quitté, et ne me quitte pas. Naguère, je ne vais pas raconter ma vie, ce qui serait fastidieux pour moi comme pour vous, j’ai lancé à Nancy un festival de théâtre qui est rapidement devenu un festival mondial de théâtre. C’était à la fois la réflexion et la fête, à la fois la découverte mais aussi le bonheur de partager ensemble des nouvelles images, des nouvelles manières de penser, de vivre le théâtre. Donc oui, c’est vrai, c’est une de mes passions, la fête sous toutes ces formes.
Nous espérons donc avec vous que ce sera la fête vendredi…
Disons, je ne veux pas préjuger, mais c’est un commencement, un nouveau commencement.
L’Institut du Monde Arabe sur Facebook et les prochains événements auxquels on ouvre ses portes : l’Arabic Sound System et le Weather Festival.
Julie Cointy, Jérôme Pilz, Jean Paul Deniaud et Zineb El Gharbi.