S’intéresser à Peter Van Hoesen équivaut à s’engager dans les méandres d’une longue discographie, se perdre dans les différents pseudonymes, projets, et labels…
Il est probablement inutile de présenter ce natif d’Anvers dont l’implication dans la musique électronique a débuté à une époque où « le grunge était hype ». Difficile de tout aborder tant son œuvre est riche ; à la tête du label Time To Express, il est responsable de nombreux excellents disques sortis sur des labels tels qu’Ostgut Ton ou Curle. C’est d’ailleurs avec une certaine nervosité que je suis allé à la rencontre de cet artiste hors du commun, peu avant qu’il ne dépose ses affaires à Paris pour une date à la Concrete. L’occasion d’évoquer avec lui ses nouveaux projets, le Japon, ainsi que le collectivisme.
Tu sembles avoir une relation assez particulière avec le Japon.
J’ai toujours senti une ouverture et de l’enthousiasme pour ma musique là-bas, et c’est clairement lié au caractère des japonais..
Sont-ils plus réceptifs envers une certaine forme d’expérimentation ?
C’est une histoire assez longue, mais le Japon a toujours eu une relation bizarre avec la culture provenant de l’extérieur. Cela se reflète dans la manière dont les gens reçoivent. Culturellement la collectivité a beaucoup d’importance. Cela colle bien avec la musique de danse qui est une expérience collective.
Tu vois une différence entre un dancefloor japonais, et un dancefloor européen ?
C’est logique non ? Il y a des spécificités culturelles partout et cela se reflète dans tous les aspects des arts et de la culture. On le voit clairement au Japon, c’est un aspect culturel, ils sont très collectivistes.
Quelque chose qui me surprend beaucoup dans tes morceaux, c’est que l’on va découvrir quelque chose à chaque écoute, des éléments particuliers. J’ai l’impression que tu es très au courant sur tout ce qui concerne les fréquences sonores, qu’il y a beaucoup de recherche.
J’essaie oui.
As-tu parfois l’impression d’avoir plus de points communs avec un scientifique qu’avec un musicien ?
(rires) En fait les deux ne sont pas tellement différents. Quelqu’un qui travaille dans les sciences fait de la recherche, et un artiste aussi. C’est similaire. Je n’ai pas l’impression de créer, j’ai plus l’impression de découvrir. Les sons sont déjà là et je les découvre, je découvre des combinaisons, des structures. Les compositions sont là et il faut les trouver, les traduire, les présenter. C’est ça mon métier de DJ et d’artiste.
On est très habitué à cette image de l’artiste au centre de tout, très focalisé sur l’ego. Je ne crois pas en ça. Je crois que c’est un point de vue très occidental.
On en revient au collectivisme.
Si tu essayes de déconstruire un peu ce point de vue, ça revient à l’individu, et il n’y a rien derrière lui. Mais je crois fermement qu’il y a beaucoup de choses derrière l’individu, entre lui et la retransmission, donc forcément il y a cette connexion avec le métier de scientifique. On ne travaille pas dans le vide, jamais.
Tu es l’héritier de ce qui s’est produit avant musicalement, et tu crées dans l’instant présent pour les autres dans le futur ?
Exactement, c’est un premier point. Là tu parles de ce qui était avant nous, et de ce qui viendra après nous, c’est une couche de l’histoire. L’autre couche c’est que toute la musique qui a été faite et celle qui va être construite a dans un sens toujours existé. C’est presque platonique. Il faut juste rentrer dans le processus de création pour retrouver ces idées primaires, et les amener et les présenter dans un état contemporain et accessible pour les gens qui ne sont pas des artistes.
Intéressant que tu parles d’accessibilité, alors que ce qui ressort beaucoup lors de tes interviews, c’est le refus de compromis. Tu sembles créer et expérimenter sans te soucier si c’est trop abstrait ou non.
C’est plus ou moins le cas oui. Mais par accessible je ne veux pas dire commercial mais plus présentable. Accessible a pour moi cette notion de facile à digérer, et ça ça ne m’intéresse pas. Ce n’est pas mon métier, ce n’est pas moi.
C’est quelque chose qui t’effraies, d’être commercial ?
J’aurais aimé faire de la pop. Ce n’est pas mon talent, il faut être conscient de ce qu’on sait bien faire. On a tous nos points forts et nos points faibles. Je ne suis pas un grand producteur pop, c’est comme ça. J’aimerais cependant bien le faire une fois. (rires)
Tu as quand même réalisé ce remix pour Austra.
Oui c’était vraiment chouette, la voix, la batterie, une vraie basse. J’avais fait deux remix en fait, et ils ont choisi le plus « accessible » on va dire. L’autre morceau était beaucoup plus rapide, tandis que la version choisie à la fin était plus lente et plus mélodique, avec une voix plus présente en fait.
Tu le referais donc avec plaisir ?
Oui bien entendu. Forcément il faut aimer le morceau, et que le morceau laisse une ouverture. Quel que soit le genre, pop, ou hip hop. Il faut avoir quelque chose dans le morceau qui te dit : « ah avec ça ! ». Les gens m’offrent plein de morceaux à remixer et souvent les morceaux sont finis, rien à ajouter. Parfois des morceaux sont très hermétiques, il n’y a pas de point d’entrée. Tandis que dans le morceau d’Austra il y avait plein de points d’accès, c’était bien.
C’est quelque chose que tu aimes beaucoup faire : remixer ?
On commence un remix avec déjà pas mal de combinaisons possibles, le processus diffère et c’est toujours agréable de changer de méthode. Je travaille parfois quatre mois sur mes propres morceaux, et si quelque chose arrive en remix, c’est bien pour le cerveau, ça brise la monotonie.
Tu laisses toujours reposer un morceau avant de le terminer ?
Toujours la même méthode, je laisse au moins deux semaines où je n’écoute plus le morceau. Après on a une autre perception, on entend plus vite les problèmes ou les opportunités. Je dois avoir le sentiment que je ne pouvais pas aller plus loin avec le matériel donné.
J’ai l’impression que tu n’aimes pas trop être au centre de l’attention, quel est ton sentiment par rapport à ton exposition ?
J’essaie de ne pas avoir d’opinion là-dessus, c’est comme ça. (soupir) Parlons plutôt de musique, c’est le monde d’aujourd’hui, si j’aime ou pas ne change rien. Je fais de la musique car je suis musicien, je suis né comme ça. Ce qui est important pour moi c’est de parler le plus possible de musique, pas nécessairement de ma musique, mais de la musique en général. C’est ça l’essentiel.
Tu viens de dire que tu es né musicien. C’est vraiment ton sentiment, ce n’est pas quelque chose qui s’est construit ?
Oui.
Est-ce que les clubs et les clubbers te donnent assez de liberté pour t’exprimer ?
Ça dépend du club.
Est-ce qu’il y a des endroits où tu aimes particulièrement jouer ?
Le Japon. Cela a déjà été dit, mon endroit préféré pour jouer c’est le Labyrinth. C’est là où je vais avoir le plus de liberté pour m’exprimer, là-bas tout est possible. Il y a une relation assez intense entre l’audience et l’artiste, par exemple dans le cas de Donato Dozzy, de moi, ainsi que des autres résidents. Cette connexion entre l’artiste et l’audience devient chaque année de plus en plus riche, et donc tu te construis de plus en plus une image de ce qui est possible. Les gens te suivent et j’essaie de présenter quelque chose de différent chaque année. La recherche pour septembre a déjà commencé.
Tu as déjà commencé à préparer ton set pour septembre ?
Oui, et je crois que c’est aussi le cas de Donato. L’audience, l’organisation, tous ces éléments se soutiennent les uns les autres, et tu en es une partie intégrante. Pour les gens qui sont là pour la première fois, c’est quand même un choc entre ce soundsystem presque mythique, et l’audience qui est fantastique. Maintenant ça fait plusieurs années que je viens, et je sais assez bien ce que je peux me permettre.
Tu as déclaré que tu étais ennuyé par la techno à la fin des années 90, es-tu satisfait de l’état de la techno aujourd’hui ?
Plus qu’à la fin des années 90. Je me souviens d’une période où chaque disque était une mauvaise copie de la série Purpose Maker de Jeff Mills. Je trouvais ça dommage car pour moi la techno a toujours été une musique où tu danses, mais aussi où tu expérimentes. Récemment on a retrouvé l’envie pour expérimenter. Aujourd’hui la techno a subi pas mal d’influences d’un peu partout, et cela la rend plus intéressante. La nostalgie ne fait pas avancer les choses. Ce n’est pas que je n’aime pas certaines œuvres de cette période. Au contraire, j’y suis assez attaché, mais pas dans le sens nostalgique ou restrictif.
Cette semaine tu vas jouer à Concrete. Il y a vraiment quelque chose en train de se passer à Paris, tu vois une vraie différence ?
À Paris on voit que cela avance rapidement, et naturellement Concrete a une grande influence. C’est intéressant d’arriver dans une ville où les gens te disent : « ici ça marche il y a de plus en plus de soirées ». Cela change de l’autre version : « on a des problèmes, les flics , l’administration communale… ». J’ai toujours l’impression là-bas que les gens sont très informés. Mais pas dans le sens « académicien de la techno », ces gars qui te regardent pendant que tu mixes (il mime des bras croisés). Je trouve que Concrete présente un bon mélange entre les gens comme ça, et les gens qui connaissent bien mais qui savent aussi faire la fête. C’est important de faire la fête. Il y a un équilibre, dès que tu arrives tu sens qu’il y a quelque chose de spécial, ceux qui organisent ont une bonne motivation, et cela se reflète sur l’audience et les artistes.
Dans deux semaines tu joues au Berghain pour la sortie de l’album de Tobias Freund. Tu as déjà travaillé avec lui sur un mixage ou du mastering ?
Non, le mixage je le fais moi-même, le mastering ça dépend un peu. Je l’ai rencontré au Japon, on a un bon contact depuis, c’est la raison pour laquelle je joue à la release party.
Le nouvel album de Sendai A Smaller Divide vient de sortir. Quels sont les projets sur lesquels tu travailles en ce moment ?
Un remix va arriver sur Ostgut Ton, sinon j’ai commencé un projet avec Kris Verdonck. C’est un plaisir de participer de nouveau dans des arts scéniques. On s’oriente vers les arts visuels, c’est un projet dont je suis une petite partie de la création totale. Sinon on prépare un live show avec Sendai pour les Nuits Sonores, on va intégrer pour la première fois des éléments de l’album dans le live.
Vous faîtes toujours les visuels pour Sendai ?
C’était à 100% créé par Yves, mais il n’y a plus de visuels, on a décidé de se concentrer à 100% sur la musique.
Ce sera une salle plongée dans le noir ?
J’espère. On demande toujours d’avoir ces conditions. Le set up optimal c’est pas d’éclairage nulle part. Si je pouvais j’éteindrais l’éclairage du bar. À l’époque on avait une double raison, les visuels, et l’attention des gens. Lorsqu’il y a trop d’éclairage les gens sont trop conscients de ce qui se passe autour d’eux, ils vont papoter… Si tu les plonges dans le noir, c’est plus extrême, c’est une question de communication aussi. S’il n’y a pas de lumière, tu communiques clairement : « taisez-vous et écoutez ». Je trouve que ce n’est pas forcément du divertissement un concert live. J’investis avec Yves beaucoup de temps, et j’ai quand même une certaine attente vis-à-vis de l’audience.
Un peu comme lors d’un concert de musique classique, personne ne va téléphoner pendant un concert de musique classique.
Car c’est de la musique électronique jouée avec un volume assez élevé, tout à coup les gens vont croire que c’est ok d’avoir une conversation aussi forte que dans un café. Ça je ne le comprends pas, tu casses l’expérience pour d’autres gens. L’été passé pendant Atonal il y avait un concert de Jon Hassell dont je suis un grand fan. Il a fait un concert incroyable, mais une partie du concert pour moi a été perturbée. C’est de la musique très fragile avec beaucoup de dynamique, parfois c’est très calme et il faut être attentif. Mais c’était une salle avec plein de bavards à qui j’avais envie de dire « mais taisez-vous ! ».
Des sorties sont prévues sur Time To Express ?
Time To Express 23 arrive dans deux semaines, il est de la main de Marco Shuttle. Je suis très très fier qu’il ait accepté que je sorte ce morceau et que je fasse son remix. Après ça on va essayer de sortir deux triple series, dans le même concept que la triple series de Receiver. Un thème et trois maxis de nouveau.
C’est un format qui te tient à cœur ?
On prépare quelque chose de joli à voir, et on essaie de bien lier les choses. La deuxième série consistera de six morceaux inédits, et la troisième série consistera en trois morceaux originaux et trois remix. Il va y avoir aussi des sorties sur Archives Intérieures avec une réédition d’un album d’Imaginary Softwoods qui a été publié y a quelques années en cassettes et vinyles. On le présentera en CD, parce que je trouvais que l’album méritait une sortie en CD, et pour ces musiques là c’est la meilleure qualité de son. Il nous prépare aussi un album original, mais pas de date encore.