Le début de l’année 2013 a vu l’arrivée d’un nom jusqu’alors parfaitement inconnu chez Ostgut Ton. À l’occasion d’un remix du morceau Silo signé Barker & Baumecker, le jeune Kobosil obtenait sa première sortie vinyle sur un des labels techno les plus importants de la dernière décennie. La suite pourrait presque donner le vertige… Après un fantastique premier EP qu’il a sorti lui-même, il poursuit chez Unterton, et Marcel Dettmann Records. Assez réservé, ce natif de Berlin a accordé jusqu’ici peu d’interviews, regrettant que la plupart du temps on lui demande comment il est arrivé aux côtés de Ben Klock ou Steffi dans les rangs des résidents du Berghain.
« Je trouve ça en général chiant. On me demande toujours la même chose alors qu’une bonne interview devrait te changer un peu ton opinion après l’avoir lue, te donner des idées. J’ai parfois le sentiment qu’on pourrait juste recopier ma première. »

Berghain
Il grandit à Neukölln, un quartier au sud de Berlin, et il est témoin des nombreux changements qui s’opèrent dans la capitale allemande, de l’aéroport de Tempelhof encore en activité à l’arrivée massive de différentes nationalités.
« C’était rude et l’ambiance a radicalement changé. Lorsque j’entends des gens me dire que c’est cool ici, je me dis qu’il y a trois ans ils n’auraient pas supporté. Mais je suis extrêmement heureux car c’est du 50/50, c’est encore un vrai quartier berlinois pas encore devenu trop hype. »

Avant d’entamer sa carrière d’artiste, il étudie les techniques du son afin d’apprendre un métier, à la demande de ses parents. Déjà DJ et producteur, il sait pourtant ne pas avoir besoin de ce parcours pour améliorer sa musique.
« Pour l’aspect artistique, je ne pense pas que c’était nécessaire, on n’a pas besoin d’une école pour produire. Mais cela aide à comprendre certains éléments, et j’ai pu découvrir ce qu’un ingénieur peut faire pendant le mastering ou le mixage de mes morceaux. »
Cependant son histoire avec la musique électronique avait commencé bien avant. S’il ne se souvient pas de moment décisif, il admet que sa première visite au Berghain l’a considérablement marqué, mais c’est progressivement qu’il s’y est intéressé aux côtés de deux amis d’enfance, Nitam et Somewhen (IMF) aussi devenus producteurs. Tout d’abord DJ, il apprend les bases de la production avec l’un d’entre eux qui lui ne faisait que produire.

« C’était un échange, Somewhen m’a montré comment utiliser un séquenceur, et je lui ai montré les bases du beatmatching. » Ils vivent aujourd’hui dans le même immeuble, et réalisant dans quel environnement créatif et motivant il se trouve, il sourit lorsque je me hasarde à évoquer un éventuel « Neukölln 3 ». « Tout le monde est très concentré, si je vais au dessus et que j’entends des nouveaux morceaux, cela m’inspire. On se montre nos trucs. On partage beaucoup et pas uniquement musicalement, mais on est pas trop nerdy, pas du genre à juste chiller. »

Je lui demande alors dans quel cadre il produit, il se lève et me propose de le suivre. Nous changeons de pièce pour arriver dans le studio aménagé dans son appartement.

« Tout n’est pas remis en place car je jouais en live la semaine dernière. Je n’ai pas trop de matériel mais j’adore produire et sampler mes propres trucs à partir des synthétiseurs. J’aime aussi avoir ma chambre ici car je ne veux pas sortir dehors. Lorsque je vivais chez ma mère j’avais cette chambre avec tout dedans et c’était vraiment confortable. Le son était bon et je n’ai pas vraiment envie d’aller dans le froid d’un studio. Je produis par périodes, parfois pendant des semaines, et à d’autres moments je vais juste acheter des disques et écouter de la musique. Il arrive que je ressente le besoin de m’y mettre, je crée alors des trucs et je les mets dans un dossier pour pouvoir y revenir. »

Kobosil marche à l’instinct, il suit son inspiration, et ne voit pas d’explication à comment tout cela fonctionne. « Parfois j’ai un son ou une mélodie en tête, mais il n’y a pas de méthode ». Cela ne l’empêche pas d’avoir une vision sur le long terme. Il m’évoque alors son label qu’il a lancé avec Innen, un autre ami proche, et dont la prochaine sortie est prévue pour le 17 octobre.

« Je ne veux pas encore tout dévoiler, mais le numéro de catalogue sera RK1, la première sortie était RK3. Ici j’aimerais parler de quelque chose, ça m’énerve que 90% des productions techno soient juste des disques sortis comme ça. On essaie de faire quelque chose de spécial et d’aller au delà de la techno. J’ai le sentiment que je perds quelque chose si je ne m’axe que sur la techno. Lorsque je m’essaie à une production plus expérimentale, j’ai alors le sentiment de mieux m’exprimer en tant qu’artiste. La techno est un art, mais l’art réel c’est aussi de créer une musique qui puisse être entendue en dehors des clubs et par d’autres générations. J’adore la techno mais je veux aussi partager une autre partie de moi-même. »

Ne pas se limiter dans un cadre en fait, car en ce moment il a ce sentiment très fort qu’il « doit créer autre chose que des morceaux trop axés dancefloor ». C’est donc avec son label qu’il va explorer ces autres directions, car il n’utilise pas de pseudonymes pour le moment. « Ma carrière vient de débuter et je veux voir comment cela se développe. Je fais ça et c’est moi en tant qu’artiste, c’est probablement pourquoi j’utilise mon vrai nom, je ne veux pas me cacher. » Avec juste quelques sorties, beaucoup reconnaissent déjà un « son Kobosil » souvent qualifié de neuf et différent, et cette envie d’expérimenter l’explique en partie.
« J’ai toujours été inquiet par rapport à ça. Lors de mon dernier podcast j’ai joué un nouveau morceau et quelqu’un a écrit que c’était probablement le nouveau morceau de Kobosil. Ça m’a vraiment fait plaisir, je vise une particularité sans vouloir dire par là que Kobosil sonne spécial, mais je n’ai jamais voulu ressembler à quelqu’un. Et surtout pas aux producteurs de tools dont tu joues dix morceaux d’affilée et qui sonnent tous pareil. »

Il ne suit pas une mode lorsqu’il compose, « essayer d’expérimenter, c’est pour moi viser une certaine intemporalité ». Et lorsqu’il joue, il aime le son et l’esprit des années 90 qu’il tente de combiner avec des nouveautés, « c’est du 50/50 entre ancien et nouveau, parfois du 80/20 ». Et il y a effectivement la sensation d’assister à une « rave oldschool » lorsqu’on entend Kobosil aux platines.
« Il y a un état d’esprit dans ces morceaux, si tu compares les vieux disques acid avec les nouveaux, il y a vraiment une différence. Je pense qu’il est impossible de reproduire cet état d’esprit rave aujourd’hui. Le son est beaucoup moins sale à présent. »

Il commence alors à détailler les étapes par lesquelles ses morceaux passent.
« C’est quelque chose à quoi j’accorde beaucoup d’importance. Chaque disque est mixé par un ami que j’ai rencontré pendant mes études. Quand je produis ça sonne vraiment sale car je m’en fous un peu de si ça marche ou pas sur un disque. Donc quand j’ai terminé il polit afin que ce soit parfait pour la sortie vinyle. J’adore les vinyles et c’est important d’avoir le meilleur son sur vinyle. Si je sors de la musique c’est pour toujours, donc je veux que ça sonne cool. J’adore ces étapes, créer les morceaux, aller au studio de Jan Wagner qui va les mixer et obtenir ce son analogue, chaud, même sur une sortie digitale. Lorsque c’est terminé et que je suis vraiment content du résultat j’envoie ça à des ingénieurs géniaux comme Rashad (Becker de Dubplates and Mastering) et CGB. Là je sais pourquoi je sélectionne ce genre de sons et pourquoi je travaille si attentivement chaque morceau et le son, juste le son. »

Un besoin de tout contrôler qui met en relief ce qu’il m’expliquait lorsqu’il déclarait ne pas être tenté par des collaborations pour le moment.
« C’est toujours la même chose, je me tiens à côté de lui pendant qu’il travaille, c’est un talent, il est vraiment bon. C’est toujours bien d’avoir une opinion différente d’une personne qui est aussi vraiment dans ce son, le son de la techno. Quand je termine un morceau je l’ai déjà entendu tellement de fois, je vais voir Jan qui l’entend alors pour la première fois, et qui va me dire ici un peu plus de basse, ici un peu moins d’aigu. Il peut vraiment être créatif sur le son. »

Il sort alors avec enthousiasme un vinyle sur lequel les initiales JW sont gravées.
« C’est très discret, et j’aimerais ajouter qu’il faut que les gens regardent les disques, qu’ils regardent les numéros de catalogue. Tellement de gens sont pris dans le digital, mais sur un disque on peut cacher des indices ou faire des trucs fous que les gens vont devoir découvrir. Ça m’énerve vraiment de voir tellement de disques sortir juste comme ça. Mais un disque est physique et on peut faire de l’art avec, il y a tellement de possibilités. »

Kobosil art 3
Une relation particulière avec les vinyles dont on comprend qu’il les voit comme des œuvres d’art. La galerie RISE dirigée par Lee Wagstaff et ses expositions ont joué un rôle central dans son éducation artistique. Il apporte une attention aux détails presque obsessionnelle, et le disque en lui-même fait partie de son expression.

« Je suis ce chemin avec mon label, on ne peut pas vraiment faire ça chez quelqu’un plus gros. Je ne veux pas perdre cela, et de cette manière je fais tout ce que je veux sans rien devoir demander à personne, ni entendre que je suis malade. Tout est planifié, ce n’est pas simplement sortir de la musique. Lorsque j’en aurais terminé avec le label, car viendra un jour où je vais le fermer, pour moi tout devra être parfait. Les visuels, les morceaux, les disques, je vais commencer à sortir la musique d’autres artistes bientôt et quand je vais les choisir, tout devra rentrer parfaitement dans ma vision. Ce ne sera pas c’est quatre bombes, on les sort. Bien entendu il y aura peut-être de la techno, mais pas des outils, il faut que je sente que c’est de la musique et pas un morceau lambda en club. Et si je produis un morceau dancefloor, je peux faire un 12” et le sortir chez un label qui se concentre plus là-dessus. Mais avec mon label ou un album, je veux atteindre quelque chose d’autre, de plus large. Bien entendu j’aime la techno, mais je veux trouver un équilibre et surtout ne pas entendre que ma musique est du ‘boom boom boom’. »

Comment cette attitude se manifeste lorsqu’il mixe ?

« Si je joue live c’est très spécial, j’ai vu mon premier live à la Fabric lors de la soirée MDR comme un petit concert. C’était fou de jouer uniquement ma musique pendant une heure ; des gens ont dansé, d’autres ont eu une expérience, peut-être que d’autres n’ont pas apprécié. Mais c’était juste une heure que j’ai créée dans un club et écoutée par beaucoup de gens. À la fin d’un live je suis tellement fatigué que je dois rentrer à l’hôtel. Lorsque je mixe je me sens plus en sécurité car je peux tout de suite réagir à l’audience. Si je sens que je joue trop dur je vais passer à un peu plus deep. J’aime changer l’humeur avec un morceau, j’adore jouer un truc bien rave et le mélanger par exemple avec un morceau morose new wave. C’est vraiment cool de changer toute l’ambiance d’un coup. Je sais que beaucoup préfèrent le style hypnotique, épique, minimal techno qui suit une ligne. Mais j’ai toujours préféré les DJs qui savent varier. »

À nouveau on en revient à ce besoin de ne pas se limiter, de prendre des risques et d’utiliser toute la variété qu’offre la musique électronique. Pour Kobosil c’est une question de challenge, pour lui comme pour ceux venus l’écouter, il y voit l’établissement d’un « dialogue » et une manière de libérer des émotions. Encore très jeune, tout est arrivé très vite et cela ne fait pas un an qu’il a rejoint l’agence d’Ostgut Ton. Tout s’est soudainement professionnalisé et sa vie en a bien entendu été chamboulée, avec des dates qui l’emmènent désormais chaque semaine dans différents pays, et un emploi du temps qui se partage entre clubs, avions, et hôtels. Il apprécie le changement car c’est ce qu’il souhaitait : d’arriver à en faire son métier. Prenant tout cela très « au sérieux », il voit les dates qui s’enchaînent comme des « projets à finir », plutôt que comme un travail qui le forcerait à aller au bureau chaque matin.
« C’est vraiment un job à temps complet. J’ai parfois besoin de deux jours pour pouvoir écouter de la musique car ça va tellement vite qu’il arrive que je n’ai pas le temps. On doit se battre pour y arriver. »

Désormais jouant dans les plus grands clubs chaque week-end, cette ascension aurait pu donner à d’autres le tournis mais elle n’a pas brisé sa motivation.

« J’ai peut-être atteint beaucoup très vite, mais je n’ai que 23 ans et je veux continuer à grandir et devenir meilleur. Si aujourd’hui je suis la tête d’affiche d’une soirée, cela reste un fait que je viens tout juste de commencer. J’ai la chance de travailler avec des personnes fantastiques et que beaucoup aiment ce que je fais, mais je débute et souhaite m’améliorer et faire mon truc en espérant que ça touche des gens. Ça peut paraître insensé ; pour certains peut-être que devenir résident du Berghain est un objectif, je suis jeune et suis arrivé à ça, mais ça ne change rien. Je travaille avec un bon label que je ne changerais pour rien au monde. »

Et alors qu’Hardwax dont il évoque l’influence comme une éducation musicale de par sa sélection va désormais s’occuper de la distribution de son label, il précise :

« Je suis tellement reconnaissant et je continue à me sentir comme un débutant. Je suis vraiment heureux que ma musique arrive à parler aux gens, d’avoir l’opportunité de travailler avec MDR, Osgut Ton, le Berghain, Hardwax… J’ai eu mes plus belles expériences là-bas, le label est comme une famille, on a la sensation de faire partie de quelque chose. Avec Hardwax aussi, j’y achète mes vinyles depuis des années. De pouvoir aussi jeune travailler avec des personnes dans cette scène depuis tellement longtemps… Je me sens vraiment honoré qu’ils voient quelque chose en moi, et déjà avant de tous les rencontrer c’était les quatre que je respectais le plus, c’est plus qu’un signe que je suis à l’endroit où je dois être : Merci, merci, merci. »

Avant de conclure : « Ce week-end je joue en Géorgie, et à la Distillery de Leipzig, puis à Nantes pour Input Selector, et ensuite au Berghain et à l’Amsterdam Dance Event où je vais jouer pour la première fois en festival lors du showcase Ostgut Ton au Dekmantel. Ma première date signée était au Berghain, j’ai vraiment de la chance pour mes premières fois (rires). »

RK1 sort le 17 octobre (sortie vinyle et digitale)
Retrouvez Kobosil sur Facebook & Soundcloud, et à Nantes le 10 octobre pour la soirée Input Selector au Co2.

Crédit photos Kobosil: Lee Wagstaff (gallerie RISE)