Richard Zepezauer est un artiste respecté et actif dans la scène club depuis une décennie. C’est à Berlin qu’il vit, et où il a démarré en 2010 son label Nsyde responsable d’une dizaine d’excellentes sorties de producteurs comme Kevin Reynolds, Trevor Deep Jr et Fred P.
« J’essaie de me mettre dans la perspective de celui qui achète, je dois me dire je veux posséder ça. »
Avant de se focaliser uniquement sur la musique et de travailler en tant qu’A&R chez Diamonds and Pearls, il a travaillé en Allemagne en tant qu’archéologue. Comme il collectionne les disques depuis 25 ans, son salon a un air de magasin de disques , et alors qu’il s’apprête à sortir avec Nsyde des morceaux de son ami Christopher Rau, nous avons eu la chance de rencontrer cet incroyable passionné de musique.

Vous êtes impliqué dans la musique à plusieurs niveaux, est-ce que vous pouvez m’en dire plus sur votre projet classique ?

On m’a proposé il y a un an de participer à un projet en relation avec l’Académie des Arts de Berlin, c’est une collaboration avec un ensemble et un compositeur. Ils me laissent expérimenter beaucoup en tant que DJ, et ici je veux signifier DJ comme DJ avec des platines et des disques vinyles.

Vous voulez dire les platines comme un pur instrument ?

Exactement, on a essayé de voir si ça marcherait dans un ensemble. Nous avons fait un opéra condensé, Das Rheingold de Richard Wagner, qui dure environ une heure avec des chanteurs etc… La dynamique sociale est assez intéressante, même si on a connu quelques disputes car on a tous des opinions fortes, mais c’était toujours productif. Au final c’est le compositeur et chef d’orchestre qui a le dernier mot, mais il est très ouvert aux suggestions donc c’est vraiment cool, ce n’est pas un rôle mineur et je peux y mettre beaucoup de musique électronique.

Vous entendez quoi par expérimenter en tant que DJ ?

Avec ce projet j’ai cherché à trouver de nouvelles façons de mixer. Je le vois comme un art, et dans un club on ne peut pas expérimenter de la même façon, on ne peut pas mettre au défi quelqu’un qui écoute et un danseur de la même façon. J’aime me focaliser sur le son et les atmosphères dans une liberté totale. Dans le cadre du dancefloor j’expérimente aussi, mais c’est plus une question de danser et de libérer des émotions.

Vous utilisez quoi ?

Juste des platines, un peu de delay Vestax, je limite les possibilités afin de devoir être créatif avec ce que j’ai. Si on a trop d’effets, on ne fait pas grand chose à part « faire mumuse ». Les contraintes me permettent de me concentrer sur ce qui est vraiment nécessaire. Dans le projet classique, j’ai eu trois platines et je pouvais jouer le même disque mais d’un enregistrement différent, et révéler ainsi une toute autre gamme de sons, jouer avec des éléments mineurs et les fréquences de la bonne manière. Je ne suis pas intégriste en ce qui concerne les vinyles, c’est juste d’où je viens. Ça me permet de me limiter ; si j’ai toute ma collection sur une clef USB je suis perdu. Si l’on apprend avec Traktor, je suis certain que l’on peut aussi être créatif avec. Le problème c’est que parfois les gens l’utilisent par paresse ; plus besoin de caler donc plus de temps pour jouer avec les effets, mais ça ne rajoute pas vraiment quelque chose.

Vous êtes un collectionneur de disques avide et vous avez été archéologue, êtes-vous obsédé par la collecte d’objets ?

C’est un parallèle assez évident. On cherche quelque chose de rare et c’est toujours agréable de trouver quelque chose de spécial. La plupart du temps spécial signifie rare. J’ai aussi toujours été intéressé par l’histoire de la musique et j’ai toujours essayé d’avoir une vue d’ensemble. Suivre les grandes idées dans l’histoire musicale revient à la même chose que l’archéologie, si on veut avoir une vue d’ensemble on doit creuser dans un sujet car c’est de cette façon qu’on le comprendra mieux. Mais je dois dire que suivre les sorties devient de plus en plus fatiguant, je ne veux rien rater donc c’est un travail quotidien de passer en revue les distributeurs. Surtout que je travaille aussi dans la distribution chez Diamond and Pearls Music.

Tu te sens mal si tu rates quelque chose ?

Complètement, surtout qu’aujourd’hui on doit être vraiment rapide pour avoir son exemplaire sinon ça arrive sur Discogs pour 50 euros et je ne veux pas jouer à ce jeu.

Tu n’es pas la première personne à me parler de ça, je me souviens avoir discuté de cette inflation délirante avec Roger 23.

C’est toujours problématique lorsqu’une institution a un monopole. Discogs est la plateforme que tout le monde utilise et c’est un problème majeur car cela donne juste une expertise pour les nouvelles générations. Des gens vont penser que si le prix est bas sur Discogs, le disque est mauvais alors que c’est simplement faux. L’information est distordue pour les plus jeunes, décider si un disque est bon ou pas n’a aucun lien avec son prix. Je vois tellement de disques qui se vendent pour 50 euros alors qu’avec la plupart on ne sait même pas s’ils vont résister à l’épreuve du temps. Peut-être que dans cinq ans on découvrira qu’ils sont vraiment bons ou que c’est juste un truc entraînant.

Tu sembles beaucoup réfléchir au concept du temps.

C’est vrai que j’y pense en permanence lorsqu’il s’agit de musique. Même avec mon expérience je continue à me tromper. L’intemporalité est quelque chose de mystérieux, je pense avoir quelques idées mais pas une réponse claire. C’est une histoire sans fin, mais c’est aussi ce qui fait son charme, mes sets d’il y a dix ans n’ont rien à voir avec ceux d’aujourd’hui.

On a mentionné Discogs, es-tu satisfait de l’industrie musicale en ce moment ?

C’est difficile, la scène club est en train d’exploser, il y a de plus en plus de festivals, de plus en plus d’argent. L’EDM est en quelque sorte en train de montrer le pire scénario, ça devient de plus en plus un show, on perd notre concentration sur la musique. C’est devenu un peu du divertissement, cela se développe et forcément il y a des bons et mauvais côtés. Ce qui est bien c’est que la scène reçoit plus d’attention, il y a de nouvelles personnes qui s’y intéressent et on construit pour une nouvelle génération. C’est juste que parfois la façon dont c’est présenté n’est pas vraiment de mon goût. Mais d’un autre côté, il y a tellement de disques de qualité qui sortent avec des labels qui ont une vision et qui ne font pas attention aux modes.

Tu vises quoi avec ton label Nsyde ?

Le but est d’essayer de sortir des trucs intemporels. Je tente de rester ouvert car je pense que c’est ça qui permet à un label de rester intéressant. Parfois on met tellement d’espoir dans un label après trois bons disques et ça finit par se répéter et devenir inintéressant. Je veux construire un profil autour de mes goûts en tant qu’A&R. J’essaie aussi de trouver des nouveaux artistes dans lesquels je crois car je veux aussi les aider avec mon expérience de plus de 20 ans. C’est très important, beaucoup de labels ne le font pas assez.

Et la production, tu travailles aussi là-dessus ?

Je produis mais je ne suis pas encore arrivé au point où je veux montrer quelque chose. Je dois être satisfait avant, c’est prévu et c’est un objectif majeur, mais ça prend du temps.

Surtout si tu veux sortir un disque qui résistera à l’épreuve du temps.

C’est mieux de sortir un disque dont on est fier, que cinq disques qui sont plutôt bons ou entraînants. Je veux sortir quelque chose de vraiment bien, je ne suis pas pressé.

Tu le sortirais sur ton label ?

Difficile à dire, mais en fait plutôt sur un autre.

Afin d’être jugé ?

Absolument, j’essaie d’être un filtre dans le cas de mon label. C’est toujours bon d’avoir l’expertise d’un autre.

Tu peux m’en dire plus sur ton projet avec Mike Huckaby ?

On a commencé cette collaboration à propos de Sun Ra. On se connaît depuis longtemps et il connaissait mon intérêt pour le jazz. Lui c’est un adorateur de Sun Ra, il fait même des edits de certains morceaux pour ses sets. On a donc eu cette idée de faire une nuit Sun Ra. La première soirée s’est déroulée dans une petite salle de Berlin et elle a laissé une grosse impression sur chacun de nous. Le thème principal est d’être libre, on peut se focaliser sur le son, ce n’est pas très dansant, ça peut même être du free jazz qu’on mélange avec de la musique électronique contemporaine. On essaie de rassembler le meilleur de chaque style, de se concentrer sur la musique et pas sur les genres. Je m’intéresse à la musique, c’est juste ça en définitive.