La péninsule ibérique ne saurait se résumer à deux festivals électroniques et une île de jet-setters. L’Espagne est festive mais quelle avanie cela serait que d’oublier des producteurs comme Oscar Mulero, Eduardo de la Calle, Paco Osuma ou encore John Talabot.
Parmi ses grands noms, oeuvre dans l’ombre, depuis plus de 10 ans, Juan Rico. L’Espagnol collectionne les pseudonymes pour ces différents projets dont le plus connu reste encore Reeko. Mais c’est sous Architectural que l’homme originaire des Asturies sort à la fin du mois son dernier album sobrement intitulé Amour. Celui-ci, composé de 8 titres, paraîtra sur l’excellent label hollandais de Darko Esser Wolfskuil Records, label que nous connaissons bien.
Un seul qualificatif me vient à l’esprit, et pas des moindres, à l’écoute de l’album : vertigineux ! Mêlant parfaitement l’ambiant et la techno, Amour est une incroyable descente dans l’univers de l’artiste. Une écoute qui nous fait comprendre le choix de Juan Rico pour son pseudo. L’architecture n’est-elle pas un art qui se doit d’appréhender l’espace, de le concevoir selon les règles et les technologies de son temps et de les dépasser ? Avec Amour, Juan Rico se pose en véritable bâtisseur d’une techno à la fois mélodieuse, froide et sans ornements inutiles. Dès lors, plus belle est la chute !
Le voyage débute par Aura. Une intro ambiant, quasi céleste, de 3 minutes où sur une nappe planante se superpose des sonorités cristallines. On s’imagine aisément Aura illustrer certains passages de 2001 ou d’Interstellar.
Puis survient Sapphire, une techno hypnotique plutôt simple. La simplicité est ici maîtrisée et fait preuve d’une grande efficacité. L’ensemble est admirablement construit : une basse légère, une nappe atmosphérique. La rupture avec Aura se fait en douceur pour notre plus grand plaisir.
Dernier track de la face A de ce double LP, Il Mare revient à l’ambiant. Avec l’utilisation de choeurs, Juan Rico aborde son voyage comme une quête du sacrée. Une parenthèse dans laquelle les amateurs du compositeur Arvo Part se retrouveront.
L’espagnol revient à la techno avec les deux morceaux suivants, Lacrimosa et Delicatezza. Si le premier séduira les amateurs de claviers vintages complétés d’éléments drone, le second se démarque par une ambiance plus océanographique que spatiale. On remonte des abysses pour atteindre la surface à laquelle de grandes nappes nous happent. Une houle synthétique puissante au départ et qui finit par s’échouer dans la dernière minute du morceau.
Le sixième titre, titre éponyme, est celui de la synthèse. 10 minutes pendant lesquelles Juan Rico se lance dans une épopée ambiant pour virer en milieu de track en une techno hypnotique et groovy accompagnée d’effets flanger plus ou moins accentués.
Sentir clôture l’album. Plus que le clôturer, il l’annonce. Cette fin que l’on pressentait avec le titre précédent, Kristallin. En 12 minutes, Juan Rico amorce lentement la descente de l’auditeur, d’abord par un titre plus techno puis par un titre ambiant sur lequel une voix répète en boucle « I’m looking down ». Alors oui, on regarde derrière soi et on prend conscience de l’oeuvre bâtie par cet architecte. Le vertige est grand après cette odyssée auditive d’une heure.
Sous son pseudonyme Architectural, Juan Rico signe ici un album profondément atmosphérique et cinématographique. Une oeuvre admirablement maîtrisée de par l’environnement créé et l’univers qui parcours l’ensemble des 8 pistes de l’album. Amour est un album de « point de vue », oscillant entre les chutes, les abysses et en passant par les pertes de repères spatiaux. Le vertige est atteint tant l’homogénéité des textures et sonorités est présente sans qu’elles soient redondantes.
Rédigé par AMDB.