Créé en 2009, ce qui a commencé par une teuf entre potes s’est imposée en quelques années comme un festival de référence sur la scène techno internationale. Les échos qui nous sont parvenus esquissent un évènement intimiste faisant la part belle aux musiques électroniques et aux montagnes japonaises. Alors que nous terminons 2 mois de voyage dans le pays du soleil levant, nous sautons sur l’occasion de nous offrir une dernière danse avec les Japonais.

Vendredi – Prise de contact avec le monde rural

P1120287

L’aventure débute par une journée d’auto-stop. Les transports coûtent cher et les Japonais sont tellement serviables et attentionnés que lever le pouce est le meilleur moyen de se déplacer. Un salary man nous dépose le vendredi soir dans le petit village thermal de Nozawa Onsen, dans la préfecture de Nagano, l’équivalent des Alpes au Japon. Nous y sommes presque. Un foodtruck « Boiler Tequila » prend le relais. On grimpe une route en lacets longeant les départs de pistes et les remontées mécaniques à l’arrêt. Arrivés à 1300 mètres, nous découvrons notre terrain de jeu pour les prochains jours : un grand lac paisible perdu au milieu de la forêt.

Le temps de planter notre tente dans le camping encore désert et nous voici saké en main partis à la découverte du site. Une première scène sonorisée Pioneer est installée au bord du lac, la programmation s’y annonce 100% japonaise et orientée ambient / drone / expérimentations sonores. La main stage est située quelques centaines de mètres plus loin au milieu de la forêt. Bien qu’elle semble un peu petite au vu de la taille du site, le sound system Void Acoustic en impose. Les Japonais sont connus pour être des audiophiles avertis et accorder une attention particulière à la qualité du son. Nous ne serons pas déçus, le réglage optimal tiendra ses promesses tout le weekend.

A 21h c’est parti pour 69 heures de musique non-stop jusqu’au lundi 18h. A notre grande surprise on ne compte pas plus de 20 personnes devant la scène. On comprend assez vite que les festivaliers ont fait l’impasse sur le vendredi. De ce premier soir, on retiendra le set de Black Merlin, Aka Georges Thompson. L’expert en field recording déploie une techno low beat froide et métallique quasi industrielle. A sa suite, Le japonais DJ Yazi prend un virage breaké, deep et coloré incluant de belles variations dans les motifs rythmiques. Notre nuit se termine sur la Lake stage où l’on assiste au lever de soleil accompagné par la musique ambient minimaliste et méditative de Doofy : DJ, moine bouddhiste et conducteur bénévole pour le festival. Ça ne s’invente pas.

CIMG9558

Samedi – Le vaisseau rural décolle

CIMG9606

Le matin suivant on émerge au bord du lac en écoutant la puissante drone du duo Dit Sese. Les deux japonais recouvrent le DJ Booth de cassettes audios et de synthétiseurs, le résultat est une expérience multisensorielle. A écouter fort, collé aux enceintes, bouchons vissés aux oreilles, pour sentir tout son corps vibrer, ça réveille !

Dit See

A 13h la talentueuse et habituée du festival Sapphire Slows prend son service pour 2 heures d’un voyage à forte sonorité dub et mélodies atmosphériques, entre ambient et minimal trippy. On l’avait découverte grâce à son excellent EP « Sounds of Purity » sorti sur le label berlinois Nous disques en 2017. Le public un peu plus nombreux que la veille apprécie cette mise en jambe dans le soleil de l’après-midi.

Autre performance très attendue, celle de Slickback, membre du collectif Nyege Nyege fer de lance de la musique électronique en Afrique de l’est. Le jeune Kenyan réveille le public japonais avec un set énergique mixant bass music, footwork, trap, hip hop et même quelques tracks IDM, à la frontière entre expérimentation et pop music.

La claque musicale nous surprend quelques heures plus tard, lorsque Patrick Russel prend les commandes du vaisseau [rural]. Profitant de toute la qualité du sound system, il diminue le volume sonore, laissant le public venir à lui. Le DJ du Midwest n’impose pas sa musique, il la met à disposition, construisant une atmosphère subtile et hypnotique assemblée avec une précision extrême, du grand art ! Les applaudissements du public nous ramènent sur terre mais nous reprenons vite notre envol avec Solar. Le vétéran californien apporte une énergie nouvelle et remplie l’espace de sons trippy et acides d’où surgissent des vocales étranges. Parfait pour accompagner le soleil qui pointe son nez au-dessus des montagnes japonaises.

Dimanche – Repos dominical

Le lendemain on se ressource en plongeant dans les eaux brûlantes des onsens (thermes japonais) du village voisin. Pas très efficace mais au moins on est propre. Au détour d’une ruelle, on croise Jane Fitz qui visite le village avec des amis. Rural est de ces festivals intimistes où artistes, organisateurs et festivaliers appartiennent à la même famille, à l’image de Djrum, Tasker ou encore Solar que l’on apercevra danser et profiter en toute simplicité de cette parenthèse japonaise.

On revient de notre bain juste à temps pour écouter CCL dont on a adoré le podcast sorti récemment pour Unsound Festival. L’artiste repousse les frontières de la break music avec un style de Djing unique loin des clichés habituels. Son warm-up breakbeat à tendance dubstep surprend l’audience par ses crochets dans l’IDM ou l’acid jazz. Function nous présente ensuite son nouveau projet fruit d’un travail de 3 ans, à mi-chemin entre présentation d’album et performance artistique mêlant projection visuelle, danse et musique. Certaines tracks sont vraiment excellentes mais on a du mal à rentrer dedans. Les chansons se suivent sans réelle cohérence entrecoupées par la voix du berlinois qui prend le micro pour commenter sa musique et demander des applaudissements. L’ensemble laisse le public japonais perplexe. Wata Igarashi, pilier de la scène japonaise, rattrape le coup et entraîne le public dans 3 heures d’une techno intense et mentale, toute en tension, parfaitement exécutée du début à la fin. Alessandro Cortini, ancien claviériste de Nine Inch Nails, prend le relais avec ses synthétiseurs et plonge la forêt dans une ambiance mélancolique faite de nappes denses, de basses fréquences et de mélodies nostalgiques.

Il est encore relativement tôt mais les trois soirées d’affilées ont eu raison de nous. On décide de s’arrêter là pour conserver un maximum d’énergie en vue du grand final de demain. De toute façon les organisateurs ont prévu le coup, sur la Lake Stage les DJs ont pour instruction de jouer sans beat. Au Japon on ménage ses festivaliers, quand on vous disait qu’ils étaient attentionnés !

Lundi – Un grand bol d’amour

Le ciel est dégagé pour ce dernier jour, offrant un magnifique lever de soleil aux courageux qui somnolent devant la Lake stage. DJ Nobu, véritable légende adulée par le public japonais, officie à 9 heures. Un horaire inhabituel pour lui qui a l’habitude de dérouler sa techno répétitive en plein cœur de la nuit. Il s’adapte parfaitement à la situation jouant drone et sans kick pour la première heure. Les nappes expérimentales accompagnent doucement le réveil des festivaliers qui commencent à se rassembler devant la scène. Les chaises de camping sont de sorties et on se laisse planer jusqu’à que les premiers beats nous rappellent à la danse. Nobu monte tranquillement en puissance et accélère le BPM subtilement nous transportant à travers tout le spectre de la deep techno à moins de 120 BPM.

Wake me up before you go Jane Fitz

Le moment tant attendu arrive enfin. Tasker, boss du label Whities, nous laisse tout en douceur avec Radiohead « Everything is in the right place » tandis que Jane Fitz pose ses bags derrière le booth. Dès sa première track le public se fait entendre, le fanclub est bien présent. L’anglaise qui joue ici chaque année depuis 2015 est très appréciée des festivaliers. Comme elle sait si bien le faire, elle enchaîne les tracks trippy et cosmiques, nous sortant d’un wormhole acide pour mieux nous aspirer dans le suivant. Un climat d’afterhours s’installe. Face à la scène, il reste seulement 200 festivaliers mais la vibe y est incroyable. Partout des sourires et des regards complices, tous ont appris à se connaître pendant le weekend ; certains se prennent dans les bras, on pose sur des photos, un grand anglais tatoué fait tourner un jerrican d’expresso martini savamment dosé, le barman hilare a quitté son poste et distribue désormais des shots de bonne humeur, un groupe de japonais portent le même t-shirt « Wake me up before you go Jane Fitz », le devant de la scène s’est transformée en autel techno où trône un vinyl avec la tête déformée d’Aphex Twin au milieu des bouteilles de Saké. Sur scène, la selector anglaise se surprend elle-même tant la track qu’elle introduit se mixe si bien avec la précédente. Le staff, les artistes et les festivaliers sont tous réunis pour une ultime danse qui se voudrait infinie. On ferme les yeux et on savoure les derniers instants du [rural] festival.

P1120394

Rédigé par Hadrien
Crédit photos :「MIBRAT」&  Elena Burgos