Un peu hippie, parfois businessman… De Goa à Berlin, en passant par Ibiza ; de la psytrance à la microhouse, Luc Ringeisen semble adepte du grand écart. On pourrait croire qu’il a vécu plusieurs vies, mais au milieu de cette diversité, on se rend vite compte de sa dévotion pour la musique électronique.
À l’occasion de l’ouverture de l’agence VCR liée à son label Vinyl Club Recordings, ce résident du Club der Visionaere nous a offert un extrait de l’un de ses récents sets. Nous avons eu la chance de rencontrer ce « DJ pour les DJs » pour lui poser quelques questions.
Pour commencer, que penses-tu du terme « entrepreneur » pour te décrire ? Un label, une agence, et auparavant disquaire, cela fait beaucoup déjà pour une personne.
C’est drôle, on me l’a dit hier, et je pense que c’est vrai. Si je n’avais pas fait de la musique, je pense que je serais peut-être parti dans le commerce. Pour la petite histoire avant d’ouvrir le magasin de disques, pendant l’hiver on allait en Thaïlande, en Inde, et on achetait des bijoux, des babioles que nous revendions ensuite sur les marchés hippies de l’île pendant l’été. Le business allait assez bien, et j’ai alors ouvert plusieurs boutiques à Ibiza. Je précise que j’avais 20 ans…
Tu t’es créé un petit empire à Ibiza ?
J’étais un peu jeune [rires], j’étais à Ibiza, je sortais beaucoup. Peut-être pas un empire, mais j’avais des boutiques de souvenirs, de lunettes de soleil, des emplacements sur les marchés de l’île. À un moment donné j’ai eu pas mal d’employés et je n’ai plus trop géré. Je me suis alors rendu compte que l’argent ça va et ça vient, et que ce n’est pas si important. J’ai décidé de faire ce que j’aime vraiment, et avec les miettes qui restaient j’ai ouvert Vinyl Club en 2004.
Tu avais commencé à mixer avant d’ouvrir la boutique de disques ?
J’ai fini mes études à 20 ans, et je suis arrivé en vacances à Ibiza en 98. En arrivant, je me suis retrouvé plutôt dans le mouvement rave. À Ibiza c’était de belles fêtes qui duraient plusieurs jours. Sur l’île, le mouvement a perduré jusqu’en 2002/2003 avant que la répression policière ne devienne trop forte. J’ai toujours vécu dans la musique, on allait en Asie, au Brésil aussi où il y avait ce grand mouvement rave qui se développait à Trancoso. C’est surtout là que j’ai fait mes premiers pas en tant que DJ, par la suite j’ai joué dans beaucoup de raves jusqu’à fin 2003. Lorsque que j’ai ouvert la boutique de disques, on a obtenu une résidence au Space où j’ai fait mes débuts en club.
Tu as toujours principalement mixé avec des vinyles ?
Je vais préciser, car je présume que tu me poses cette question à cause du nom de la boutique et du label ; je n’ai pas une obsession du vinyle. En fait à l’origine c’est un petit bar de plage à Ko Pha Ngan, où il y a les fameuses « full moon parties » en Thaïlande. Le bar en question mettait des kilos de soundsystem à chaque pleine lune et s’appelait Vinyl Club, le nom vient de là. Sinon pour répondre à la question, pendant la période rave et cela pour des raisons techniques, que ce soit en Inde ou à Ibiza, des endroits vraiment poussiéreux, c’était inimaginable de jouer avec des vinyles. Le Space a donc aussi été ma première fois avec vinyles. D’ailleurs de mémoire les DJs jouaient sur CD dans ce petit bar en Thaïlande [rires].
Il y avait de la house et de la techno à Goa ou en Thaïlande à l’époque ?
Ça m’ennuie un peu de le dire, mais à l’époque le mouvement des free parties en France c’était principalement de la hard techno. Dans l’hémisphère sud, à Ibiza ou en Inde, c’était surtout de la trance, une musique psychédélique. Mais en grandissant du côté de Strasbourg dans les années 90, avec mes amis on passait la frontière pour aller faire la fête en Allemagne, du côté de Stuttgart entre autres, donc j’avais déjà été exposé à la techno ou la minimale. Lorsque j’ai ouvert la boutique, j’ai tout de suite voulu être éclectique. On proposait de la trance, mais aussi de la house et de la techno. On avait ces distributeurs avec beaucoup de musique qui provenait de Francfort ou Berlin, avec des labels comme Pokerflat et Perlon. Pourtant ce n’était pas du tout ce qu’on écoutait à Ibiza à l’époque… Mais ça a coïncidé avec le moment où Cocoon et le DC10 ont commencé à exploser. Ces endroits voulaient une identité bien plus underground, avec pour but de ramener quelque chose de différent musicalement. Rapidement on a donc complètement lâché la trance, et nous nous sommes spécialisés dans une musique beaucoup plus pointue, beaucoup plus underground.
Je suppose que ça te correspondait davantage.
À ce moment là on se cherchait, et c’est là que j’ai rencontré tous ces nouveaux résidents : Petre Inspirescu, Rhadoo, Raresh, des gens que personne ne connaissait à l’époque. Ils ont débarqué à Ibiza au moment où j’ai ouvert cette boutique de disques. Ils sont devenus résidents d’une petite salle du DC10, complètement inconnus. Nous nous cherchions tous, et nous nous sommes tous un peu trouvés ensemble.
J’imagine que côtoyer ces artistes a dû se révéler très intéressant.
Évidemment, on avait des habitués comme Timo Maas, Luciano, mais surtout Rhadoo, Petre Inspirescu, Raresh, « les Roumains ». Eux ils connaissaient la boutique mieux que moi. Ils arrivaient le matin et attendaient devant la porte avant que j’ouvre, à 22h je venais les voir : « désolé les mecs, mais il faut fermer ». Communiquer, échanger avec eux, au delà de voir ce qu’ils cherchaient et achetaient, tout cela m’a énormément appris.
Comment est arrivée l’idée d’un label ?
Tout naturellement, dès la première saison, c’était une des premières idées. C’était aussi par rapport au DC10, dès la première semaine d’ouverture on a eu ces DJs du DC10 qui venaient à la boutique et qui commençaient aussi à produire. Tout logiquement on a eu l’idée d’un label, et d’ailleurs si on regarde les premières sorties sur Vinyl Club, ce sont les artistes du DC10 de l’époque avec Pedro, Sossa, System of Survival… Vinyl Club était un peu une sorte de plate-forme pour le DC10, et moi-même sans y être résident, j’y jouais plusieurs fois par saison.
C’était des choix courageux vu l’état de l’industrie musicale à l’époque. Tu ressens de l’animosité vis-à-vis des mp3 ?
Non. De toute façon quand j’ai ouvert cette boutique, il y avait déjà Final Scratch, et on se doutait bien que le vinyle avait peu de temps devant lui. J’étais d’ailleurs bien plus pessimiste qu’aujourd’hui. Aujourd’hui avec cette sorte de retour de mode, je vois bien que le vinyle va me survivre, alors qu’à l’époque je pensais l’inverse.
À ce moment là on n’en était pas sûr, pour mes partenaires et moi c’était une industrie qui allait durer encore trois/quatre ans. Par contre le label, quand je l’ai commencé je savais très bien que ce serait un projet à long terme, un projet à vie. On avait vraiment quelque chose à dire, et ça continue d ailleurs. Je sais pas si on peut se rendre compte de ce que c’était en 2003 de vendre et produire à Ibiza de la musique underground, c’était totalement hors contexte. Et même quand ça a commencé avec le DC10 et Cocoon, et qu’une minimale allemande pointue et underground a commencé à se répandre à Ibiza. Petre Inspirescu -pour dire à quel point il est toujours en avance- a fait une sortie beaucoup plus « deep house », complètement à contrecourant. Nous cherchions toujours ce que nous allions pouvoir faire de nouveau, et ce n’est possible qu’avec son propre label, son propre moyen d’expression.
La production est venue en même temps que le Djing ?
Vraiment simultanément, d’ailleurs en 2002 un peu avant que j’ouvre Vinyl Club, j’ai suivi ce petit cours gratuit donné par le gouvernement espagnol, et je suis devenu diplômé d’auxiliaire d’ingénieur du son. C’est là que j ai commencé à me pencher sérieusement sur la production. Mon premier disque date de 2005, car forcément on apprend à mixer plus rapidement qu’à faire des disques.
Lorsque j’écoute ta discographie, ça me rappelle un peu Audio Werner avec ce côté toujours très efficace, très dancefloor.
On fait de la musique de club. On va parler de moi, mais c’est aussi l’idée générale pour les artistes du label. On veut toujours être dans la recherche, dans l’expérimentation, essayer de faire quelque chose de nouveau mais sans oublier que c’est de la dance music. Il faut que les gens dansent, ça c’est clair. Sinon Audio Werner prépare un EP pour Vinyl Club [rires].
Tu n’aimes pas trop définir ta musique ?
Je ne raffole pas des classifications ni des formules, j’ai envie de casser les clichés qu’on se trimballe depuis les années 90 sur Ibiza ou Berlin par exemple. Si tu prends nos releases sur Vinyl Club, il n’y en a pas une qui ressemble à l’autre. Si on insiste, je pense avoir gardé un truc de l’époque des raves, ce côté hypnotique. Je recherche une musique qui fait danser et planer.
Pour terminer, tu peux me parler un peu du mix ?
C’était une Vinyl Society au Club der Visionaere pour mon anniversaire en mai 2013. Le line up officiel c’était Xandru, DeWalta, Lorenzo Chiabotti, Christi Cons, et moi-même. Dyed Soundorom a débarqué à Berlin dans la matinée, et il s’était tellement éclaté à la Vinyl Society précédente qu’il voulait absolument rejouer avec nous. En fin d’après-midi on a donc commencé en « back-to-back » avec Xandru, et Dyed nous a rejoints un peu plus tard. On a coupé cette petite heure sur ce set de 6h. Ce sont deux artistes que j’aime beaucoup, mais nous avons des styles complètement différents. On ne peut pas vraiment s’en rendre compte avec une petite heure, mais il y a eu une réelle alchimie ce jour là, il s’est passé un truc musicalement.
L’opposé de jouer les uns contre les autres ?
Souvent, c’est ce qu’il se passe dans les « back-to-backs », mais ce jour là, il y a vraiment eu une connexion, nous avons cherché à atteindre une ligne commune, et chacun a fait l’effort de coller au style de l’autre.
Interview by Christophe. Photo © Inès Berra Viola.