Originaire de Detroit, puis résident au légendaire Bunker à New York, Éric Cloutier a déposé ses valises à Berlin avec ce qui semble être un constant désir de s’imprégner de nouvelles influences. Reconnu depuis des années pour la qualité de ses sets, il s’est forgé doucement mais sûrement une solide réputation de sélecteur éclectique et intransigeant, capable de faire perdre sa raison à un dancefloor, sans pour autant tomber dans la facilité. Après une certaine attente, 2013 l’a vu réaliser une première sortie réussie et prometteuse sur Studio r°. Sur un excellent Various aux côtés entre autres de Fred P, il y délivre peut-être le morceau le plus réussi.
Ce n’est donc pas un hasard si Input Selector a décidé de l’inviter pour célébrer ses 5 ans d’activité, pour l’occasion il a accepté de nous offrir un enregistrement et de répondre à quelques-unes de nos questions.

INTERVIEW FR (original version below)

 

Donc tu es surchargé en ce moment, non ?

Je n’irais pas jusqu’à dire que je suis « surchargé », haha, mais il est clair que je me tiens occupé musicalement. Entre deux mois remplis avec les USA, le Japon, et l’Australie, je suis à présent de retour à Berlin en train d’installer mon studio dans mon nouvel appartement. Cela, afin de me focaliser sur la production maintenant qu’il fait froid et gris. J’essaie aussi de régler quelques voyages cet hiver, ainsi que pour le nouvel an et au delà, mais en dehors de ça, c’est constant et régulier (avec quelques dates supplémentaires en Asie qui arrivent).

Tu es actif depuis 1996, et j’ai vraiment été surpris de découvrir que ta première release date seulement de cette année. Comment tu te sens par rapport à tes débuts en tant que producteur ? Était-ce beaucoup de pression ?

C’était un peu intimidant, après toutes ces années à être reconnu seulement en tant que DJ, et supposément un avec du goût musicalement (hah !), de finalement exposer au monde ce que « mon » son est. Il y avait sans aucun doute beaucoup d’oreilles et d’yeux posés sur moi, donc je devais être certain que quoi qu’il arrive je fasse un bon impact. Je sens que j’ai fait un plutôt bon travail avec « Adytum » en première production, mais je ne suis pas encore complètement satisfait de ce que je produis. Je travaille donc aussi diligemment que je le peux, pour m’emmener encore plus loin musicalement. La réalité, c’est qu’avec mon niveau de perfectionnisme, il se peut que je ne me satisfasse jamais de ce que je fais. Il arrive un point où il faut lâcher prise et laisser le monde entendre quelque chose. Je suppose que c’est la partie la plus intimidante du processus, je suis persuadé que la plupart des artistes passent par là.

Tu as habité Détroit et New York, en ce qui concerne la scène musicale, tu peux me parler des différences avec Berlin où tu résides à présent ?

C’est une discussion tellement commune de nos jours. Je ressens principalement que musicalement il n’existe même plus de ligne entre Détroit, NYC, et Berlin. Appelez-ça un changement de paysage, où la musique est plus aisément disponible. Toutes les trois sont uniques et donnent de l’inspiration de tellement de façons que j’en suis arrivé à juste les aimer également, et être fier de ce que chacune m’a donné à apprendre. Comme j’ai pu le déclarer auparavant, la répartition de mon histoire personnelle se résume à : Détroit m’a appris les compétences et les standards pour être DJ, NYC a développé mon savoir ainsi que ma résolution, Berlin m’apprend l’humilité et la patience pour réussir et me dépasser.

Adytum, l’as-tu trouvé à Berlin ?

Pas tout à fait, mais cela viendra, je l’espère, avec l’achèvement de mon studio. Je me perds de temps en temps sur le dancefloor – récemment au festival Labyrinth, et à la nuit Klockworks au Berghain il y a quelques semaines, lorsque Ben Klock a joué et complètement transporté mon cerveau sur une autre planète.

Retournes-tu parfois à Détroit ? Quelle est ton opinion sur la demande de mise en faillite qui est intervenue cette année ?

J’y retourne au moins une ou deux fois par an pour rendre visite à ma famille. Ils vivent un petit peu en dehors de Détroit, donc c’est un peu plus rural et « chill ». Habituellement j’essaie de retourner en ville pour voir des amis quand je le peux. Cependant, parfois il est juste agréable de rester dans le jardin de mes parents avec le lac, une bière… En ce qui concerne la faillite, je pense que tout cela est un tel chaos composé d’innombrables couches complexes, et sous-jacentes remontant pour certaines aux années 70, qu’il est impossible de rapidement tout déconstruire pour l’assimiler. Je trouve cela un peu déprimant et écœurant, c’est la rude réalité d’une ville et de sa lutte constante pour sa survie. J’ai encore foi en Détroit, et je me demande souvent si mon chemin m’y mènera à nouveau. Détroit a une certaine fierté que rien ni personne ne peuvent ébranler.

Tu as acquis une certaine réputation pour tes capacités narratives, et le large spectre de musique que tu es capable de jouer (c’est pour cela que nous tenions à t’inviter pour cet anniversaire). Qu’est-ce qui est le plus gratifiant ? De voir la foule perdre la raison sur le dancefloor ? Les nombreux compliments, les bonnes critiques ?

Je pense que la variété que j’amène, en plus du fait que je garde toujours cela fermement ancré au corps et proprement hypnotique, permet un solide exercice de musculation sur le dancefloor. Je pense que les gens viennent en sachant qu’ils vont transpirer, et je souhaite toujours les pousser dans leurs retranchements avant de les laisser respirer. Pour résumer : lorsque je joue, je m’éclate. On ne peut pas vraiment se plaindre dans ma situation, alors que je suis envoyé un peu partout dans le monde et payé pour jouer de la musique que j’aime devant une foule. Rien que cela est exceptionnellement enrichissant ainsi que valorisant. Mais je ressens aussi énormément de joie et de plaisir à trouver ce qui fera réagir un public spécifique lors de telle ou telle soirée, afin de le pousser au bord de la folie.

Trouves-tu compliqué de sortir du lot dans cette industrie ?

Il est définitivement complexe de se distinguer. Il y a un tel flot de nouveaux talents, et une société d’immédiateté qui force les gens à faire quelque chose de dramatique régulièrement afin de ne pas sombrer dans l’oubli. Il y a une raison pour laquelle d’innombrables producteurs « chient » des douzaines de morceaux chaque année, chacun plus ennuyeux que le précédent. C’est qu’ils ressentent perpétuellement le besoin de se trouver sous le feu des projecteurs. Tout compte fait, je dirais qu’il est bien plus impressionnant de faire une chose magistralement, plutôt que d’en faire une centaine quelconques. Malheureusement, les génies de cette scène auront un dur combat pour arriver au sommet (et je ne suis en aucun cas en train de m’inclure dans cette catégorie), j’exprime juste que depuis quelque temps les gens se contentent du superficiel sans aller chercher plus en profondeur, et c’est dommage.

Excepté la musique, tu t’occupes comment ?

Je viens de déménager à Kreuzberg dans un nouvel appartement avec ma fiancée, donc nous sommes en plein rassemblement de ce que nous voulons en meubles, peintures, etc… Je construis lentement mon studio afin de pouvoir travailler tout l’hiver. J’ai aussi commencé à explorer les salles d’escalade que Berlin offre, je suis un avide lecteur, en particulier de Mark Z. Danielewski qui écrit des histoires franchement barrées. J’ai aussi un blog journalier sur Twitter « Morning Words » où je liste ces étranges morceaux que j’ai en tête lorsque je me réveille le matin. J’ai aussi une certaine compétence dans le domaine des voitures (rires), conséquence d’avoir été élevé par le manager d’une équipe de sports automobiles et d’être originaire de Détroit. Je me retrouve aussi souvent flânant sur des blogs de design, du design d’intérieur au graphisme, ou même d’architecture.

Tu peux me parler un peu de l’enregistrement ?

Ce mix a été enregistré l’été dernier à Aix-En-Provence dans un club fantastique, le Seconde Nature. En partie galerie, en partie club, il s’y trouve un soundsystem Funktion One qui tue et un auditoire qui s’y accorde. Ce soir là j’ai essayé de nouveaux concepts, et joué des nouveaux morceaux que j’avais reçus récemment, de plus j’avais voyagé avec quelques classiques que je trouvais appropriés. Le mix inclut vers la toute fin un morceau de moi que je dois terminer, mais dont j’avais oublié l’existence, donc c’est aussi un peu une « claque dans le visage » afin de me renvoyer en studio… Ce que je devrais faire maintenant…:)

INTERVIEW ENG

 

So you are mad busy these days, right?

I wouldn’t go so far as to say I’m « mad busy », haha,  but I’m definitely keeping myself occupied musically. Between a heavy couple of months with the USA, Japan and Australia, I’m now back in Berlin setting up my studio in my new apartment to focus on production now that it’s getting cold and grey. Trying to sort out some more traveling for the winter, as well as New Years Eve / Day and beyond, but outside of that, its definitely steady and consistent (with some more Asia gigs upcoming).

You have been active since 1996, and I was really surprised to discover that you have had your first release only this year. How does it feel to have made your debut as a producer ? Was it a lot of pressure?

It was a bit intimidating.  After all of these years of being recognized as solely a DJ, supposedly one with good taste in music (hah!), to finally deliver to the world what « my » sound is. There were definitely a lot of ears and eyes on me, so I had to make sure that whatever I did made a good impact. I feel like I did a pretty damn good job with « Adytum » as my first production, but I’m not completely satisfied with my productions just yet, so I’m working as diligently as I can to further myself musically. The reality is, that with my level of perfectionism, I may never be satisfied with anything I make. But at some point you just have to let things go and let the world have a listen – I guess that would be the most intimidating part of the process. I’m sure most artists experience this.

You used to live in Detroit and New York City, how is the music scene there compared to Berlin where you reside now?

It’s such a common discussion these days. I mostly feel that Detroit, NYC and Berlin musically don’t even have lines between them anymore – call it the changing landscape where music is more readily available. All three are so unique and inspirational in so many capacities that at this point I’ve really just come to love them all equally and be proud of what each of them has given me to learn from. But over all, as I’ve stated before, the breakdown of my personal story is – Detroit taught me skills and standards of being a DJ, NY expanded my knowledge and drive and Berlin is teaching me the humility and patience to succeed even further.

Adytum, is it something you have found in Berlin?

Not quite yet but it’ll happen, hopefully with the completion of my home studio. If anything I definitely find myself getting lost on the dancefloor from time to time – most recently at the Labyrinth festival, and at the Klockworks night at Berghain just a few weeks ago when Ben Klock completely transported my brain to another planet.

Do you go back to Detroit sometimes? What’s your take on the filing for bankruptcy that happened earlier this year?

I go back at least once or twice a year to visit my family, definitely. They live a bit outside of Detroit, so it’s more rural and chill, but I usually try to get back into the city to see friends when I can. Sometimes its just nice to stay in my parents’ backyard with a beer and the lake though. As for the bankruptcy, I think that whole thing is such a bonafide mess with so many underlying, complex, and long-standing layers that go back as far as the 1970’s, that it’s really almost impossible to quickly deconstruct it for digestion. I find it all a bit depressing and sickening, but moreover it’s just a harsh reality of that city and its constant struggle. I still have faith in Detroit and often wonder if I’ll find myself back there. Detroit has a certain pride that you just can’t shake.

You are known for your narrative skills and the wide range of music you are able to play (that’s why we decided to invite you for the celebration of this 5th birthday), what is the most rewarding thing for you? To see the crowd go crazy? Compliments? Good reviews?

I think the range of music I bring, plus the fact that I always keep it rooted deeply in the body and properly hypnotic, allows for a solid workout on the dancefloor, so they come knowing they’re going to sweat, and I want to get them to the edge and back. All in all, when I play, I’m having an absolute blast up there. It’s really hard for anybody in my position to have a bad day when you’re being flown around the world and being paid to play music you absolutely love for a crowd of people. That alone is exceptionally rewarding, but I also get tons of joy out of finding out what makes that specific crowd of people on that specific night tick and pushing them to the brink of total freakout.

Do you find it hard to stand out in this industry?

It’s definitely hard to stand out these days. There’s such a flood of new talent, plus we all live in such an instant gratification society these days that it really forces people to do something dramatic on a regular basis in order to not be forgotten. There’s a reason why countless producers shit out dozens of tracks every year, each one more boring than the last, because they feel the need to stay in the publics eye forever. All in all, I’d say it’s far more impressive to do one thing masterfully than to do a hundred things poorly, but unfortunately the geniuses of this scene are going to have a hard fight getting to the top – and by no means am I lumping myself in to that category, I’m just saying that people aren’t digging deep enough lately and that’s a shame.

What do you get up to besides music ? 

At this point in time I’ve just moved in to a new apartment with my fiancee here in Kreuzberg so we’re in the middle of piecing together the furniture we want, painting etc., and I’m slowly building up my studio so I can work all winter. I’m beginning to explore the climbing gyms that Berlin has to offer. I’m an avid reader, especially of Mark Z. Danielewski who writes some seriously mental stories. I have a daily blog on twitter « Morning Words » where I catalog all of the strange songs I wake up to in the morning and I happen to know a lot about cars, haha, a byproduct of being raised by a race car team manager and being from Detroit. I often find myself looking at lots of design blogs as well, from interior design to graphic design and even architectural.

Can you tell us a little bit about this mix?

This mix was recorded last summer in Aix-En-Provence at a fantastic club called Seconde Nature. Part gallery and part club, it has a killer Funktion One system in it and an audience that just eats it all up. It was one of the mixes where I was trying out some new concepts and pushing some new tracks I had recently received, plus I was traveling around with some classics that felt appropriate for that evening. This mix also includes, towards the very end, a track of mine that I’ve yet to finish and release that I forgot about, so its also a bit of a slap-in-the-face to me to get back in to the studio…which I should do right now… :)

Interview by Christophe.

RA.EX169 – Eric Cloutier (10 oct 2013)

19/10 : Input Selector 5 Years at La Machine du Moulin Rouge w/ Soulphiction live, Eric Cloutier, Oliver Deutschmann & Cio d’Or
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