Salut Chichi, après quelques années d’absence, te voilà de retour à Nantes. Pour ceux qui ne te connaissent pas encore, peux-tu en dire un peu plus sur toi et sur les projets que tu as mené depuis tes débuts?
J’ai commencé à travailler avec Raphael sur Fragil Musique, même si à la base c’est son label. Il m’a toujours demandé des petits conseils, j’étais là en soutiens avec lui et on a beaucoup travaillé ensemble sur ce projet. Après en Espagne, j’ai travaillé avec un crew qui s’appelle Monkey Bar, label et soirées à Barcelone. On invitait des Djs comme Marcel Dettmann, Fred P, Daniel Bell, Tama Sumo ou Santiago Salazar pour des soirées qui s’appelaient Monkey Bar. On faisait ça sur des rooftops d’hôtel ou bien dans des clubs. Le but était de faire des soirées pointues, qui n’existaient pas encore là bas à l’époque et c’est cool car ça m’a permis de rencontrer pleins d’artistes et un super crew, qui sont devenus de très bons copains. C’est intéressant pour moi d’avoir ce réseau aujourd’hui si plus tard j’ai envie de réinviter certains artistes dans mes projets futurs.
Pour t’avoir vu jouer un certain nombre de fois, j’ai remarqué un éclectisme assez fort dans tes sets et comme on a pu le voir sur le podcast que tu nous a fait, on sent que le Hip Hop old school a une place importante pour toi, comment pourrais-tu définir ton identité musicale?
Comme tu le dis je suis hyper éclectique, je n’aime pas me focaliser uniquement sur de la Techno, sur de la House, ou sur du Hip Hop. Mon background musical est très Hip Hop, j’adore ça, je n’en joue pas souvent étant donné que je joue uniquement vinyle. J’ai une grosse collection House et Techno mais peu en Hip Hop. En ce moment je me remet à acheter des trucs des 90’ que je kiff et ça m’amuse de pouvoir les jouer en soirée histoire de varier mes sets, des fois Hip Hop, des fois House ou Techno. J’essaye de ne jamais jouer uniquement Techno forte ou House vocale, j’aime bien partir un peu dans tous les délires. Ça dépend aussi beaucoup de la soirée, je vais forcément jouer un panel de sons en fonction de l’heure ou du lieu. Je dirais que ne pas se focus sur un seul et unique style musical définirait ma manière de mixer.
Tu n’as jamais eu envie de produire?
Si, ça me démange et je vais peut être m’y mettre avec Bertrand (Môme). Ça fait longtemps que j’en ai envie et vu que maintenant il a son studio, je vais avoir le temps de m’y consacrer. Je n’y connais absolument rien et ça sera l’occasion qu’il m’apprenne et qu’on fasse peut être un truc ensemble, pour l’instant il n’y a absolument rien de mis en place mais on en parle et c’est quelque chose qui me chauffe !
En tant qu’organisateur de soirée, qu’est ce qui t’intéresse dans la culture club et quelle est la teuf idéale pour toi?
On va dire que ça fait un paquet d’années que je fais ça, j’ai gardé des flyers des soirées « Suck My Beat » qu’on faisait il y a dix ans à Nantes… L’organisation de soirée c’est quelque chose qui ne vient pas tout seul. Avec le temps et l’expérience, tu sais ce qui est bien ou non, l’avantage d’avoir vécu dans une grande ville m’a permis aussi de me rendre compte de ce qu’est une belle soirée. Quand tu vas à Berlin, Barcelone, Paris ou Londres tu vois des choses qu’on ne voit pas forcément dans des villes comme Nantes. Aussi, l’expérience d’avoir organisé des soirées avec des artistes qui m’ont fait kiffer et jouer avec des papas de la techno comme Daniel Bell ou des mecs plus actuels comme Fred P, ça met des grosses claques et à ce moment là, tu vois ce qu’est une bonne teuf. Aujourd’hui organiser une belle soirée c’est plein de chose… Un spot cool, un très bon soundsystem, une équipe qui assure et en qui tu as confiance… C’est un milieu qui n’est pas facile et pour moi la vraie valeur ajoutée lorsque tu proposes quelque chose aux gens, c’est quand tu montres ce que tu as dans tes tripes et je pense que tu peux le faire seulement si tu as de l’expérience et que tu es dans le milieu depuis longtemps. Les organisateurs qui sont dans le milieu depuis quatre jours et qui organisent des choses, ça n’a pas la même saveur. Les meilleurs soirées sont organisées par des gens avant tout passionnés qui achètent des disques. Ça peut paraitre un peu bateau mais si tu as acheté seulement huit podcasts sur iTunes dans ta vie, je ne suis pas persuadé que tu sois un véritable fan de musique. Par contre quand tu dig depuis des années et que tu es prêt à payer pour faire des soirées à l’autre bout de la planète, ça te donne une certaine légitimité pour dire « ouais maintenant j’aimerai bien faire mon truc à moi ». Il faut avant tout donner de ta personne que ce soit physiquement, financièrement ou mentalement, pour après recevoir d’un public.
Tu le disais tout à l’heure, tu as commencé en travaillant avec Raphael, boss du label Fragil. Peux-tu me parler de ta rencontre avec lui?
En fait j’ai même commencé avant Fragil puisque j’étais avec Déviation Sonore, avec qui on faisait les soirées « Suck My Beat », c’est une association qui existe toujours d’ailleurs. À l’époque on organisait des teufs techno à l’Olympic et dans des petits bars, c’est ce qui m’a vraiment mis dedans. Par la suite j’ai rencontré Raphael, après à la question « comment? » je ne m’en souviens même plus, en soirée surement. Au moment où je faisais les « Suck my Beat », lui faisait les soirées « Nobody’s Virgin » et quelques trucs au club La Grange, qui était à l’époque bien moins pointu qu’aujourd’hui. Au début je ne l’aimais pas trop avec sa tête de roux, mais au fur et à mesure on a appris à se connaitre et on a vu qu’on était dans le même délire, il m’a invité pas mal de fois à venir jouer et on s’entendait finalement super bien. Il a ensuite lancé son projet Fragil où il me faisait écouter des sons, c’était un peu comme mon frère, on passait beaucoup de temps ensemble vu que musicalement nous étions dans la même vibe.
À Barcelone vous avez eu l’occasion de faire jouer des noms importants de la scène house internationale avec le crew Monkey Bar, comme Mike Huckaby, Daniel Bell, Tama Sumo, ou bien Black Jazz Consortium pour ne citer qu’eux. Faire des line up similaire à Nantes aujourd’hui, ce serait envisageable pour toi?
Je pense qu’à Nantes, on a un énorme boulevard d’artistes qui ne sont jamais passés et que aujourd’hui, avec la vibe qu’il y a ici, on pourrait se permettre de les inviter. On n’est pas obligé de se focaliser uniquement sur des gros noms techno, même si en ce moment c’est le truc qui cartonne le plus. Nantes est largement prête pour faire des artistes comme Tama Sumo ou bien Fred P qui sont des artistes que j’aime. Après je pense que le public nantais est capable de recevoir n’importe qui, à partir du moment où le nom de ta soirée est connu, tu peux proposer qui tu veux, les gens viendront. Ce n’est pas forcement une question d’artiste que tu mettras sur un line up qui fera la différence mais plus de nom de soirée, que ce soit les soirées de Dan Bono (De La House) ou celles de Laurent (Get Horses), je ne pense pas que tout le public connaisse parfaitement les mecs qui viennent jouer. Même moi qui suis dj et dedans depuis pas mal de temps il y a certaines soirées où je ne connais pas les noms, alors j’ai du mal à croire que même dans des grandes villes comme Paris, Nantes ou Barcelone les 800 ou 1 000 personnes présentent dans le club connaissent tous les artistes sur les line up. Après le truc qu’il faut prendre aussi en considération c’est qu’aujourd’hui les jeunes, grâce à soundcloud etc, peuvent avoir plus facilement un vrai intérêt pour certains artistes. Après le but du jeu pour moi sera de faire des soirées qui marchent aussi bien qu’une Get Horses, qui fait des gros line up comme Recondite et des choses plus tripante hardcore comme Manu Le Malin, tout en proposant des artistes, je ne dirais pas moins « facile », mais disons plus underground comme ce que j’ai pu faire pour les Chronic avec Alex et Laetitia Katapult, ou Sydney & Sulleyman. Là on n’est pas dans la techno bourrine, c’est plus fin et c’est vrai que quand tu fais des line up plus house ou plus funk, le public jeune s’identifiera moins à ce type de son, mais après si tu ne proposes pas, tu n’éduques pas et si tu n’éduques pas, tu ne fais pas le taf !
Tu as lancé lllmatic et tu as déjà fais deux soirées de Chronic au club CO2 à Nantes avec de très beaux plateaux. Que peux-tu me dire sur la genèse de ce projet ?
Au CO2, les soirées Chronic c’est un projet très personnel où j’ai carte blanche à 100% pour inviter les artistes que je veux, c’est hyper agréable car en tant que promoteur, on me laisse gérer mon projet à fond.
Le but de ces soirées c’est d’une part de mettre en avant des artistes internationaux qui ne sont jamais venus à Nantes, et d’autre part de valoriser la scène locale en faisant jouer des jeunes et aussi des potes. Dans tous les cas je mettrais en avant des artistes que j’aime, avec qui j’ai déjà joué ou bien que j’ai rencontré, que ce soit à Barcelone ou bien Berlin.
La scène Nantaise s’est relativement métamorphosée depuis les années où tu y résidais, comment appréhendes-tu ce nouveau jeune public ?
Je l’appréhende super bien, dans certaines soirées on peut penser qu’il est fermé sur un style de musique mais en général je pense qu’il reste assez ouvert à tout. Quand je vois les Goûtez Electronique par exemple, on va de la funk à la house en passant par la techno avec des artistes qui ne sont pas spécialement connus du grand public et pourtant ça cartonne bien! Je pense qu’il y a un vrai intérêt, je ne pense pas que ce soit juste une mode, du moins je ne l’espère pas. Je pense que cet intérêt, qu’a le jeune public pour la techno et la house, est poussé par les grosses soirées et festivals parisiens comme le Weather Festival ou bien Concrete ou encore toutes les autres initiatives en province, cela fait que le public est ouvert, à Nantes comme ailleurs, c’est général en France. Et avec un public qui est ouvert comme il l’est à Nantes, je pense qu’il peut très bien écouter sur une même soirée ou après-midi, du Hip-Hop, de la Funk, du Disco, de la House ou bien de la Techno. Après le truc à toujours faire, c’est de respecter ce jeune public car quand tu commences à proposer des artistes qui ne sont pas à la hauteur, jeune ou moins jeune, le public ne suivra plus. Il faut aussi ne pas oublier une chose importante, c’est qu’à Nantes, ça ne fait pas trois jours qu’il y a de la techno. Moi j’ai commencé il y a dix ans, et dix ans avant moi il y avait d’autres mecs qui étaient là. Dan Bono avec les Paradise par exemple ou bien Christophe Ripoll, Julien Plaisir de France, Gabriel B, Bertrand Dupart, le public plus jeune ne les connait pas mais ils ont fait beaucoup pour Nantes. Depuis que la techno existe il y a toujours eu un mouvement dans cette ville, ça s’est un petit peu cassé la figure je dirais, entre 2005 et 2009 car peut être qu’en terme de production c’était moins intéressant mais le problème était assez global et pas juste nantais. Le boum est arrivé par la suite vers 2010. Après il y a des gens qui n’ont, malgré cela, jamais lâché l’affaire comme Raphael de Fragil par exemple, il a trouvé le bon point d’accroche entre la plus jeune génération et les plus anciens, en plus musicalement ça a toujours été pointu et il n’y a jamais eu de foutage de gueule.
On a tendance à tourner un peu en rond dans les lieux de fête à Nantes parce qu’ils sont relativement peu nombreux. Tu penses que, comme l’a fait Abstrack, il y a une nécessité de trouver de nouveaux endroits ?
Il faut oui, je pense qu’il y a pleins de lieux exploitables à Nantes mais la question est : est ce que tu veux faire une seule et unique teuf dans un lieu illégal, te faire griller et ne plus jamais y avoir accès? Ou bien est ce que tu veux vivre grâce à ce lieu? L’expérience m’a appris que si tu veux faire des teufs de 00h à 7h, car il faut rappeler qu’on est en France et qu’on ne peut pas faire la fête du Samedi au Lundi comme au Panorama Bar, et bien il faut travailler avec un club, qui a une licence et dans lequel tu peux mettre un gros soundsystem sans qu’on t’embête. Il y a une grosse attente de cela… Après le coté hors club est génial mais ça ne dur pas longtemps, pour le Goûtez Electronique, c’est un énorme travail pour avoir les autorisations etc pour faire quatre éditions dans l’année. Organiser une soirée dans une friche industrielle ce sont aussi de gros risques et beaucoup de travail…Mais après, les personnes qui dépensent leur temps là dedans pour au final trouver de super lieux, c’est tout à leur honneur ! Moi personnellement, avec l’organisation de soirée, je n’ai pas forcement de temps à consacrer à la recherche de nouveaux lieux à Nantes.
Le 29 août, tu organises une soirée rassemblant quasiment tous les acteurs de la vie nocturne nantaise, tu penses qu’on est encore dans un schéma du type « one nation under a groove » ou bien que le nombre restreint de lieux de fête crée de la concurrence ?
Lorsqu’un pote fait une soirée dans un autre club le même soir que moi forcément oui on se concurrence indirectement. Le truc bien est que ça permet d’offrir le choix au public et malgré tout, on reste hyper soudé entre organisateur par rapport à plein d’autres villes. Barcelone par exemple, c’est la guerre ! À Paris je ne pense pas que tout le monde soit in love… À Nantes on est peut être pas tous amoureux les uns les autres, mais chacun fait son type de soirée avec son type de musique et les choses sont faites de manière intelligente. On a un agenda commun pour savoir plus ou moins ce que les autres font, ce qui je pense, n’existe pas dans les autres villes. On est presque tous plus ou moins copain à la base et du coup, on travail dans une certaine harmonie. Pour en revenir à la soirée du 29 Août, le but du jeu sera de réunir les djs, les associations et ceux qui proposent des soirées à Nantes, qu’ils soient gros ou petits, dans un endroit. On n’a pas forcément l’occasion de se rencontrer en soirée parce que chacun est plus ou moins de son coté ou bien selon l’âge, on ne traine pas spécialement aux mêmes endroits. Ça permettra aux anciens et aux plus jeunes de se rencontrer et de créer quelque chose dans le futur encore plus intelligemment. Mais en résumé à Nantes, je pense qu’on fait les choses de manière assez saine.
Revenir à Nantes après des années d’absence pour proposer un projet avec des line up aussi pointus est un joli challenge, ça te plait cette part de risque dans l’organisation de soirées auprès d’un public que tu redécouvres ?
Le public nantais je ne le redécouvre pas vraiment car je revenais souvent pour jouer avec Raphael sur les soirées Fragil et je voyais bien ce qu’il se passait. Je n’ai jamais véritablement coupé le lien avec Nantes. Mais j’aime bien la part de risque dans mon projet Illmatic, le fait de pouvoir être seul dans ma société et de pouvoir faire ce que je veux comme je le veux et comme je l’entends, c’est ça qui m’intéresse. Si ça marche c’est tout bon et si ça ne marche pas, bien entendu c’est moi qui mange, et cette pression permanente qui fait que tu es toujours sur le qui vive me plait. En mettant de coté les structures associatives, il y a très peu de gens à Nantes qui vivent de cela. Mais je suis très confiant sur ce qui va se passer dans le futur, en tout cas j’y crois, sinon je ne l’aurais pas fait !
Des indices sur les line up des prochaines soirées Illmatic ?
Le 29 août donc, on fait la All Star au CO2 avec tous les crew nantais, anciens, nouveaux, ce sera sur deux scènes et ça va être une super belle soirée ! La semaine suivante j’organise la soirée Backasable & Friends avec mon pote de Backasable, où l’on fera jouer Jan Kruger, Patrick Speek, Clayton Guifford, Cedric Borghi, Wrecka Spinnazz Club et le Live de Vauban du label Dement3d. Le vendredi 26 septembre, j’ouvre les nouvelles Chronic avec Patrice Scott de Détroit, le live de Vidock de Faktice, et le 3 Octobre je ferai jouer Molly à l’Altercafé pour la soirée RiffRaff. D’autres Chronic arrivent avec des line up made in Berlin et New York…
Je te vois souvent pester auprès des orga lorsqu’ils oublient le « . » à la fin de C.H.I.C.H.I. sur le fly des line up, ça a une connotation particulière ou c’est juste esthétique ?
Grave, c’est chiant ! C’est juste esthétique mais j’y tiens. Tous mes potes se foutent de ma gueule parce que c’est vrai que ça ne sert à rien, mais je le veux ! Donc avis aux organisateurs : Merci de ne pas oublier le dernier « . » sur C.H.I.C.H.I.
Cyril Miault