La Grèce jouit d’une scène musicale underground de qualité en train de percer doucement au-delà de ses frontières avec des artistes tels que Sawf ou le label Modal Analysis. 3.14, l’un de ses trois fondateurs, vit désormais à Berlin où il travaille dans l’industrie musicale. Après avoir connu une expérience chez Prologue, il est maintenant impliqué dans l’agence du label Killekill et l’organisation du Krake Festival.
« Modal Analysis c’est un peu mon bébé en train de grandir, c’est un projet démarré avec des amis de longue date dont la première intention est d’exposer la scène grecque. » explique-t-il.
Le label démarré en 2012 vient d’atteindre huit sorties, dont le récent maxi M.D.O.F qui résulte d’une improvisation lors d’un jam de musique électronique expérimentale. Cet EP illustre bien cette envie de promouvoir la scène grecque avec une collaboration d’artistes locaux où l’on retrouve de la contrebasse, du saxophone, et qui pourrait rappeler du free jazz.
Très actif, il organise aussi régulièrement des événements qui ne se limitent pas à de simples soirées avec un grand nom invité : « Au début c’était très underground, je ne sais pas si c’était par choix mais au fil des années nous avons commencé à avoir un certain succès et à attirer des gens à nos soirées. Mais vers 2011 nous étions assez déprimés et nous avons décidé de lancer un autre projet. Je suis parti à Londres et j’ai pu rencontrer beaucoup de gens et découvrir une scène totalement différente. Aujourd’hui nous faisons ça tous les deux mois : sur le dernier événement il y avait une exposition d’artistes locaux, de l’art moderne et visuel. Nous essayons d’amener une manière de penser différente, de conduire à d’autres conclusions. Je ne sais pas comment on peut développer quelque chose en amenant uniquement de la techno, car à la fin on devient simplement un promoteur. Mais je peux le comprendre car c’est une autre problématique lorsqu’on doit se nourrir ou nourrir une famille. Il y a un stress et ça devient compliqué, c’est ce que j’ai constaté avec les DJs professionnels. »
Arrivé à Londres, il s’attaque à la construction de son propre studio ainsi qu’à la production. Et c’est curieusement chez le label lyonnais CLFT qu’il sort son premier disque Serendipite en 2015.
« Ce sont des morceaux sur lesquels je travaillais lorsque je vivais à Londres. L’objectif à présent c’est de réaliser des choses plus musicales et de les sortir chez Modal Analysis, c’est ce que je souhaite faire. J’aime la techno, mais mon intérêt principal c’est la musique. C’est le gros challenge que je m’impose : arriver à faire quelque chose de bon musicalement. J’apprécie de construire mon studio, vendre des éléments, en acheter d’autres. J’aime ce monde plus que les clubs et leur univers photographique brillant. Je n’avais pas ça en tête lorsque j’ai commencé, tout est très spontané. Je veux le faire avec des amis, ça fait plus de sens de les soutenir. Quel est l’intérêt d’avoir tout le temps la même musique et les mêmes personnes ? Ce mix que j’ai fait pour Input Selector est rempli de morceaux d’inconnus originaires de Grèce. Il y a quelques autres morceaux pour garder un certain équilibre, mais c’est tout. »
Avec de telles connexions, d’autres auraient pu être tentés de partir sur une voie royale et sortir chez des plus gros labels, mais il admet être un peu introverti lorsqu’il s’agit de son propre cas. Seule la musique semble compter : « J’aurais pu sortir ce disque avec Modal Analysis ou grâce à des connexions, mais j’ai préféré jouer le jeu et envoyer des démos aux gars de CLFT. Je vais citer Aphex Twin, mais je pense qu’il faut être mentalement malade pour avoir envie d’être célèbre. Construire une marque, je ne pense pas que tout le monde veuille le faire. Cela va paraître un peu cliché mais je le fais pour moi, même si j’apprécie de recevoir un feedback des gens qui m’entourent. »
L’entretien permet en tout cas de percevoir une réflexion forte probablement due à sa personnalité, mais aussi à son expérience dans l’industrie musicale. La musique est avant tout pour lui un travail introspectif et une question de défi avec lui-même : « Lorsque je joue j’aime prendre des risques, et si je me sens bien je le fais. Si je fais mon truc et qu’en plus j’arrive à distraire les gens c’est superbe et j’en suis très heureux. Si je n’y arrive pas, ce n’est pas trop grave car je le fais pour moi. »
Lorsque je lui dis que l’esthétique qui l’entoure me semble très scientifique, il précise : « J’aime ça, j’aime la musique intelligente et la musique électronique peut être très intelligente dans la manière dont elle est construite. Au final on programme des machines pour qu’elles remplissent un rôle. J’aime travailler les sons et les modifier. J’apprécie quand les choses se relient et ont du sens, plutôt que d’être des trucs empilés aléatoirement. Si l’on regarde les illustrations pour les sorties chez Modal Analysis, on peut se rendre compte que c’est une carte des résonances. Une carte réelle, pas de la science aléatoire. »
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3.14 – Serendipite EP
CLFT – CLFT008
(janvier 2015)