Active depuis le début des années 90, Lakuti a débuté son aventure musicale dans une Afrique du Sud post-apartheid. Elle rencontre Portable (aka Bodycode) et commence alors à collaborer avec lui. Insatisfaite de l’isolement géographique de son pays, elle part s’installer à Londres en 1997 où elle organise les soirées Süd et lance le label affilié Süd Electronic au côté de Portable. En 2007 elle établit sa propre plateforme Uzuri, et sort de nombreux disques d’artistes tels que Move D ou Cassy. Aujourd’hui elle s’occupe de sa propre agence et mixe régulièrement dans des endroits tels que le festival Freerotation ou le Panorama Bar. Elle vit désormais à Berlin et présente une émission de radio sur NTS avec sa partenaire dans la vie Tama Sumo.
Tu as répondu à de nombreuses questions sur l’Afrique du Sud dans de nombreuses interviews. C’est un pays avec une histoire extrêmement complexe, j’aimerais te demander comment était la scène queer lorsque tu as commencé à t’intéresser à la musique.
Mes premières sorties et expériences de la vie queer de Johannesburg datent de ma première année d’université. J’ai été incroyablement chanceuse de rencontrer des personnes extraordinaires dans notre association d’étudiants. C’était un groupe de gens que j’ai vus assis au milieu du foyer, il y avait une diversité à l’intérieur de ce groupe en terme d’ethnicité, ils étaient tous hauts en couleur, superbes, et scandaleux au niveau des vêtements. Certains étaient étudiants en théâtre, d’autres étudiaient le droit, la médecine…
J’ai été immédiatement attirée par ce groupe et j’ai réussi à trouver le numéro de la chambre du dirigeant, je suis donc allée nerveusement frapper à sa porte et me présenter. En l’espace d’une semaine j’ai emménagé dans sa toute petite chambre car je ne pouvais pas me payer une place au foyer étudiant. Il venait d’une famille hindouiste, et était séparé de sa famille car son père n’approuvait pas ses choix de vie. Mark est un individu dynamique, plus grand que la vie, il étudiait la médecine alors que j’étudiais le droit et jusqu’à aujourd’hui il est la personne la plus intellectuelle que j’ai jamais rencontrée. Il m’a fait connaître les bars gay et nous avons découvert des clubs incroyables ensemble. Nous adorions la musique. On avait l’habitude d’aller dans un bar miteux qui s’appelait le Champions où tu trouvais des jeunes prostitués dehors, et à l’intérieur principalement un public blanc dont faisaient partie quelques-uns de nos professeurs. Tout cela a un peu joué en notre faveur pour avoir parfois un peu plus de temps pour rendre nos devoirs etc.. hahaha.
Ensuite nous avons découvert un club queer incroyable qui s’appelait le Mrs Hendersons et aussi pas très loin de l’université. Le club était magnifique, le bâtiment dans un style baroque / salle de bal, et il y avait un dj portugais fabuleux qui s’appelait Nuno et qui mixait de la new wave, de la pop et de la protohouse. Nous allions aussi dans un autre club qui se nommait Idols dans une banlieue chic de Johannesburg, et qui était un peu plus mélangé au niveau de l’orientation sexuelle. Nous étions les seules personnes de couleur dans ce club, mais Mark était intrépide et se moquait de ce que les gens pouvaient penser. Nous allions où nous voulions et avions rarement un peu d’argent, mais nous avions notre style et d’une façon ou d’une autre nous arrivions à entrer dans les clubs que nous voulions. Idols avait un accès difficile, et il y avait Larry le physio qui avait la langue la plus acerbe du monde et personne ne déconnait avec lui. Lorsqu’il nous voyait approcher, et il y avait toujours une longue file, il disait immédiatement aux gens de nous laisser le passage et nous faisait rentrer. Le club queer qui aura eu le plus d’impact sur moi musicalement était le Club Embassy avec Dj Stuart qui nous a fait connaître la meilleure musique house. À cette époque j’avais rencontré Portable qui venait de déménager du Cap. On nous appelait les « club kids », Portable, notre ami Sharon, et moi-même. De nouveau nous étions pauvres et nous passions beaucoup de temps dans les friperies de charité, Portable était incroyable avec la personnalisation des vêtements, donc nous avions toujours les meilleures tenues dans le club alors que virtuellement elles ne nous coûtaient rien. Nous arrivions dans le club et partions directement au milieu du dancefloor. Une fois que Stuart nous apercevait, il balançait Been a long Time de Murk, qui était un peu devenu notre thème
On trouvait aussi une nouvelle scène queer black qui émergeait avec Brenda Fassis qui était la plus grosse star pop d’Afrique à l’époque. La scène tournait autour d’un centre commercial où, croyez-moi ou pas, le vendredi on vous demandait un mot de passe à l’entrée. Dans les soirées du mercredi de la tristement célèbre banlieue d’Hillbrow, on trouvait Goofy qui était aussi un ami de Brenda et qui faisait une soirée dans un club qui se nommait Boobs. C’est triste, Brenda et Goofy sont tous les deux décédés.
Lorsque tu as commencé Planet Hendon, dirais-tu que ce n’était pas uniquement un choix artistique mais aussi un acte politique ?
C’était très certainement artistique et encore plus définitivement politique. Tout était politique en Afrique du Sud à cette époque et continue de l’être. Pour quelques amis queer et moi-même qui faisions ça ensemble, c’était déjà une déclaration.
Tu as une expérience unique en tant que promoteur/organisateur. N’as-tu jamais été tentée de commencer quelque chose à Berlin ?
Je vais seulement rentrer dans ma quatrième année à Berlin. J’apprends encore la langue, et j’apprends encore sur les gens. Je ne veux pas juste venir ici et penser que je peux faire les choses sans tout d’abord maîtriser ces dynamiques extrêmement importantes. Il y a aussi la question du respect envers les habitants de cette ville. Je ne voudrais pas leur donner quelque chose de maladroit. J’aimerais leur donner quelque chose de bon et cela prend du temps. Tama Sumo et moi-même avons eu l’opportunité grâce aux merveilleuses personnes du Berghain / Panorama Bar de programmer trois soirées au Panorama Bar cette année. Le 13 novembre sera notre troisième nuit et j’ai vraiment hâte d’y être.
Qu’est-ce qui fait une bonne soirée pour toi ?
Un bon sound system est essentiel, de bonnes lumières, un décor, et une approche ouverte à la musique qui n’est pas gouvernée par ce qui est à la mode du moment. Une audience diverse et ouverte d’esprit qui veut propager de l’amour, et qui est prête à partager son espace avec les autres d’une manière respectueuse.
Quels ont été les plus grosses évolutions que tu as pu voir depuis les années 90 dans cette musique ?
La formule de la musique électronique comme nous la connaissons a peu changé, et j’argumenterais que dans les 30 dernières années, la meilleure house et techno est encore celle des années 80 et 90. Je dirais que le début des années 2000 avec la minimale allemande de Basic Channel, Farben, etc était géniale avant que cette musique ne devienne vraiment commerciale. Le son broken beat de l’ouest de Londres a aussi été une période excitante pour moi avec la musique de gens comme Dego, Domu, IG Culture et bien d’autres. Autour de 2007 c’était aussi un moment génial lorsqu’on a eu le sentiment que nous revenions de nouveau vers un son house plus originel. Les deux dernières années ont été un peu bizarres avec l’explosion de l’EDM qui affecte aussi l’underground, mais il y a toujours de la lumière au bout du tunnel et je sens que nous nous dirigeons de nouveau vers une période très musicale avec des artistes qui ne sont pas commerciaux qui verront aussi la lumière. Bientôt.
Tu travailles sur quoi en ce moment ? Quelque chose de prévu sur les labels ?
Je travaille sur de fantastiques morceaux prévus pour 2016 de Jitterburg, K Soul, Muteoscillator, et bien d’autres. Je viens aussi d’enregistrer du chant pour un morceau du prochain album de Portable. Cet album est tellement bon, il a un tel talent. Je me sens honorée et humble de pouvoir y contribuer. Il y aussi d’autres trucs mais vous allez devoir attendre un peu pour voir
Tu diriges Süd Electronic avec Portable, et Uzuri. Tu as aussi une agence de management d’artistes. Est-ce car tu as besoin de variété dans ton travail ? Tu n’as jamais été tentée de ne te focaliser que sur ta musique ?
Je suis une personne impatiente obsédée par le travail. Je deviens très crispée si je ne suis pas en permanence occupée. L’agence et le label sont venus plus par nécessité que pour décorer. J’ai vu beaucoup d’artistes géniaux qui n’avaient pas d’opportunité, et j’ai donc décidé de faire quelque chose pour essayer de changer ça.
On peut s’attendre à quoi à Nantes, as-tu des morceaux que tu aimes particulièrement en ce moment ?
J’ai vraiment envie d’y être, ce sera ma première fois là-bas. Il y a toujours de la musique géniale qui va au-delà du simple « 4 by 4 » et j’espère ramener un sac de disques variés que j’espère les gens vont apprécier