Derrière les initiales I/Y se cachent deux jeunes producteurs de la scène techno berlinoise. Originaire de Géorgie, Irakli a étudié le graphisme à Cologne avant de tenter l’aventure Berlin en 2010, Yacoub a entre autres vécu à Paris et au Canada avant de s’installer dans la capitale de son pays d’origine. Un goût commun pour la musique leur a permis de tout de suite sympathiser. Depuis, bien des choses se sont succédé pour ce duo à surveiller. Entre la création de leur label éponyme, et la sortie de plusieurs solides EPs, 2013 fut une année chargée. Détendus et souriants, ils ont accueilli Input Selector dans leur studio, où nous sommes venus interrompre une session afin de leur poser quelques questions.
INTERVIEW
J’ai pu l’entendre à plusieurs reprises, et cela semble troubler beaucoup de Français. Comment prononcer I/Y ?
Irakli : Cela amène de la confusion, Yacoub dit toujours /aɪ waɪ/, je dis toujours /iː waɪ/.
Yacoub : C’est amusant, tu mixes l’anglais et l’allemand.
I: Oui, car sinon cela sonne trop comme I /why. Récemment nous avons été présentés à la radio en tant que « I slash why ». Mais tout nous convient [rires].
Comment a débuté votre collaboration ? J’imagine une rencontre entre deux nerds avec une connexion instantanée.
I : Nous nous sommes rencontrés sur le dancefloor.
Y : Tout a commencé grâce à des similarités. Cependant, nous nous sommes rendu compte que nous nous focalisons sur des aspects distinctifs. Dans mon cas, c’est le côté tribal et dansant qui me préoccupe le plus.
I : J’en ai aussi pris conscience après avoir analysé notre manière de travailler. Tout d’abord il y a une perception du corps, comment le corps réagit à la musique. Mais la musique est avant tout pour moi destinée à l’esprit. Le corps ne doit pas être oublié, mais pour me plaire il faut une certaine qualité hypnotique. Lorsque cela vous emmène à un endroit où vous ne seriez pas allés sans cette caractéristique.
Y : Ce sont deux angles de vue qui rendent les choses plus intéressantes. Ce n’est pas du tout un problème, mais plus une complémentarité.
Yacoub a été guitariste dans un groupe de métal. Quel genre d’environnement vous a informé, comment en êtes-vous arrivés à la musique électronique ?
Y : J’ai commencé à sortir à Paris, et au même moment j’ai découvert la musique industrielle par le métal. Cela a un peu fait le lien entre la musique que j’écoutais en sortant, et celle plus dure et basée sur le rock que je jouais.
I : La musique a toujours été présente. Je ne me souviens pas partir de chez moi sans mon casque.
Était-ce compliqué d’accéder à de la musique en Géorgie à cette époque ?
I : J’écoutais beaucoup de choses, et ce n’était pas aisé de trouver de la musique intéressante. C’est après mon arrivée en Allemagne en 2002 que j’ai découvert la house ainsi que la techno. On sort pour danser, avant de se rendre compte ensuite qu’il y a des producteurs, des musiciens, et cela devient plus que juste bouger sa tête.
Y : Lorsque j’aime quelque chose, je tente toujours de comprendre d’où cela vient. De cette façon on en arrive toujours aux sources. Par exemple, lorsque j’ai découvert le punk, j’ai fini par entendre parler des Sex Pistols ou de Black Flag. Cela a toujours été ainsi, et il s’est produit la même chose avec la « dance music ». Au tout début, et même si cela peut être embarrassant, j’ai d’abord écouté les trucs plus commerciaux. Ensuite on découvre ce qu’ils ont fait dix ans avant, les origines, et soudainement on se retrouve avec la musique de Detroit.
Qu’est-ce qui vous a poussé à devenir DJ?
I : J’ai produit un peu de musique pendant mes études, la première fois il m’avait fallu deux nuits entières pour arriver à un son. À un moment j’ai tout supprimé car je savais que je passerais ma vie dessus. Sinon j’ai toujours acheté des vinyles, même quand j’avais peu d’argent. Comme pour beaucoup de DJs, il arrive un moment où l’on possède beaucoup de disques, on joue à la soirée d’un ami, et quelqu’un vous dit « pourquoi tu t’y mettrais pas sérieusement ? C’était vraiment bien ». C’est une passion, un hobby, et un jour on s’aperçoit que 80% de notre temps est dédié à acheter, écouter, chercher, et faire de la musique [rires]. Je n’ai jamais eu l’intention de devenir DJ, tout comme nous n’avons jamais eu l’intention de produire en duo.
Y : C’est arrivé naturellement. Pour moi, ce fut un peu différent. Je m’étais intéressé aux bases de la production lorsqu’avec mon groupe nous avions enregistré. Après avoir étudié, j’ai été un peu pris d’ennui. J’ai eu besoin d’un changement, je me suis alors souvenu de mon affinité avec la musique. Je me suis alors dit que j’allais au moins essayer, et tout cela est arrivé. J’ai un peu glissé dedans, mais ça a beaucoup mieux marché que prévu.
Lettres, nombres, c’est assez énigmatique. Quelle est l’intention derrière tout ça ?
I : Nous le voyons peut-être différemment, mais il y a probablement beaucoup d’intersections. La principale raison est l’implication narrative, si vous nommez quelque chose « Forest », ou « Other Universe », vous lui donnez une connotation. Je ne pense pas que nous mettrons toujours des numéros, nous aurons un jour envie de pousser les gens dans une direction. Mais la musique électronique a tellement de visages, je pense qu’il est parfois mieux de ne pas trop pousser d’un côté, afin que les gens puissent se faire leur propre idée.
Y : Les nombres correspondent aux numéros des projets que nous avions initialement. D’une certaine façon, nous avons décidé inconsciemment de ne pas proprement les nommer. Nous ne voulions pas y attacher un trop gros stigmate, et ainsi influencer la vision des gens.
I : Il faut aussi travailler dessus. Si l’on baptise quelque chose, on s’influence aussi soi-même.
Y : C’est ce que c’est, et laissé libre à l’interprétation.
Dans le but de focaliser les gens sur la musique ?
I : Il y a de l’honnêteté dans la techno, peut-être que l’on peut cacher quelque chose dans la house, mais la techno est mentale, et honnête.
Y : Cela fonctionne ou pas. Au bout du compte les noms ou artistes ne comptent pas, tant que cela marche pour un dancefloor. Il semblait inutile d’insérer une signification lourde.
Avez-vous été inspirés par quelqu’un en particulier ?
I : Bien entendu, nous sommes inspirés par beaucoup de choses, mais rien de spécifique.
Y : Cela s’est juste passé de cette façon, il n’y a pas de plan, pas de grande narration. Ce n’est pas comme si nous avions préparé dix titres pour un album. C’est simplement le rassemblement d’un certain nombre d’idées.
I: Le fond, les antécédents sont à considérer. On entend, on voit beaucoup de choses, on parle avec d’innombrables personnes, et on se crée un filtre dans sa tête, on développe un certain goût. En ce qui concerne l’identité visuelle ou sonore du label, nous ne nous sommes pas forcés à le faire d’une manière. Il y a des idées derrière, une identité, mais pas de stratégie. Cela fait partie d’un flux, d’un flot.
Y : Ce n’est pas comme si nous avions un grand projet de conquête.
Je le demandais, car tout semble très contrôlé.
I : C’est contrôlé.
Y : Le premier disque est un peu arrivé comme ça. Par la suite nous avons commencé à développer de nouvelles idées. Nous ne voulons pas rester statiques, ou être forcés de faire quoi que ce soit.
I : C’est le plus important au final, que nous ne nous sentions pas obligés de suivre un ensemble de règles. Nous faisons ce que nous aimons, et je pense que c’est important lorsqu’il s’agit de musique.
Y : Personnellement, je ne souhaite pas que l’on attende de moi une sorte de standard. J’aime être surpris par les artistes, par des sorties inattendues. Certains peuvent éprouver de la déception, mais j’apprécie cela. Je préfère me retrouver dans cette catégorie plutôt que de produire en permanence quelque chose de la même essence.
On en arrive à la production, de quelle façon travaillez-vous ? Vous passez dix jours d’affilée enfermés ici ?
Y : Il n’y pas de règle, parfois, nous nous rencontrons à de multiples reprises dans la semaine, et on s’immerge dedans comme des fous. Parfois, nous ne nous rencontrons pas pendant des semaines. Nous ne tentons pas de nous forcer si nous ne sommes pas inspirés, dans mon cas c’est très dépendant de mon humeur.
I : On le ressent juste en se parlant, si c’est le moment pour aller plus loin ou arrêter. C’est pour cette raison qu’il est toujours compliqué de dire oui à un remix, les gens s’attendent à ce que tout soit prêt en deux semaines.
Y : Le problème avec une date limite, c’est que si pour une raison ou pour une autre l’inspiration manque pendant cette période… Oui, on peut essayer, mais j’ai l’impression que plus souvent qu’autre chose, cela forcera quelque chose qui n’était à l’origine pas là. Plutôt laisser cela arriver organiquement, ce qui selon moi donne en général une meilleure qualité. Bien entendu on peut aussi se retrouver avec le meilleur single de tous les temps, mais c’est mon impression générale sur le sujet.
I : Je ne comprends pas ces gens qui parviennent à toujours remettre un track en deux jours.
Y : J’aimerais pouvoir travailler ainsi, c’est juste que je n’y arrive pas.
I : Je les vois comme des producteurs qui sont extrêmement bons techniquement ; mais ce n’est pas ce que nous cherchons à atteindre. Avec ce projet nous cherchons une sorte d’intégrité. Lorsqu’on sort tout soi-même, on n’a pas besoin de faire des compromis, on peut prendre son temps.
Lorsque vous jouez, comment arrivez-vous à maintenir un « fil conducteur » ? Est-ce que vous communiquez beaucoup ?
I : Des fois, juste quelques mots, « tu penses » ou « peut-être ».
Y : Cela se produit habituellement en début de set, pendant le « warm up ».
I : Normalement c’est juste un flot, comme de l’eau qui s’écoule. Nous ne parlons jamais, nous n’avons pas de règle non plus.
Y : Évidemment on essaie de répondre à ce que l’autre joue, avec toute la surprise de ne pas savoir ce que l’autre va jouer ensuite. Devoir choisir les disques dans l’immédiat plutôt que de penser aux deux ou trois prochains ; les changements à la dernière seconde, c’est cela qui donne une certaine effervescence, et je l’espère pour les autres aussi.
I : Nombreux sont ceux qui n’apprécient pas jouer avec quelqu’un, et en général je ne suis pas un fan des « back-to-back ».
Y : J’ai le sentiment que certains ont parfois tendance à jouer l’un contre l’autre, mais pour nous ce n’est pas une compétition, ce n’est pas un moment où nous jouons avec nos égos.
I : Quand je suis tout seul, j’aime me surprendre. Mais c’est très difficile de se surprendre soi-même. C’est plus facile d’y arriver pour quelqu’un d’autre, et c’est toujours un moment particulier lorsque l’on est surpris. Parfois, j’ai la sensation que c’était un set spécial, parfois c’est la sensation de Yacoub.
Hormis la musique, qu’est-ce qui vous fait vous lever le matin ?
Y : Plus de musique.
I : Différentes musiques [rires].
I/Y se produira à Berlin le 16 aout prochain pour la soirée Moments qu’ils organisent au Humboldthain Club à Berlin. Pour plus d’infos c’est par là.
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Christophe