Passionné, extrêmement pointu, Dean Driscoll est un excellent DJ qui occupe une place particulière dans le monde de la musique électronique. « J’ai une position assez unique vu que j’ai travaillé pour Fabric, Minus, Fatrop, Tailored, et maintenant moi-même ! » Étudiant en communications et médias, un stage l’a mené un peu par hasard dans une agence de relations publiques à Londres, dont les clients comptaient quelques uns des plus gros artistes britanniques de la scène pop. Il se décide alors à « écrire à propos de musique ou de films », et à la fin de ses études, il rejoint Darling Department qui s’occupait entre autres de Fatboy Slim et Underworld.
La période est décisive, internet est en train de révolutionner la communication des artistes et maisons de disques. « Entre 2004 et 2007, nous sommes progressivement passés du téléphone/courrier à l’envoi d’emails aux journalistes. Je me souviens avoir été le premier de la boîte à envoyer des liens Mediafire, car je savais que les courriers contenant les disques allaient finir dans une pile dans un coin. »
C’est aussi à cette époque qu’il commence réellement à entrer dans la musique électronique. Fan de Prodigy, d’Underworld, il découvre par le biais de son travail Crosstown Rebels, et un côté plus underground et club de cette scène. « J’ai été époustouflé la première fois que j’ai entendu Mathew Jonson. » De plus en plus il joue dans différents bars et soirées, mais s’éloigne un peu de l’industrie musicale pour un passage dans l’univers des jeux vidéo, et une expérience « à la Mad Men ». Il se retrouve plus tard de plain-pied dans la scène musicale électronique en rejoignant une institution : la Fabric. Chargé de s’occuper de leur nouveau superclub Matter, ce passage compte énormément dans son parcours, que ce soit musicalement ou dans sa vision du DJ.
« Fabric a changé beaucoup de choses, j’étais assez naïvement ambitieux en tant que DJ – je ne me sentais pas plus mauvais qu’un autre. En tout cas c’était l’endroit parfait pour être exposé à la musique et à de grands DJs. Ce qui était génial, c’était de partager un bureau avec des gens possédant de fantastiques goûts musicaux – j’avais un peu raté les débuts de la dubstep etc… ; c’est donc là que j’ai découvert tous ces artistes et labels britanniques qui faisaient un son excellent influencé par la garage UK que j’aime. »
Il cite Ryan Elliott comme référence. « Lorsque je vais voir un DJ, je veux voir quelqu’un qui me fera danser pendant des heures, quelqu’un capable de tout donner. Ryan est le meilleur pour cela, et a amplement influencé mon approche. Mais Berlin a aussi été d’une grande influence. C’est une ville respirant le vinyle, j’ai senti que je devais changer pour être un vrai DJ, j’ai donc tout réappris depuis zéro. » Le podcast réalisé pour Input Selector est aussi entièrement réalisé avec des vinyles. «Cela donne au mix un côté décontracté et une énergie que j’aime plus que tout. »
Un quelque chose de plus sale mais aussi plus réel ?
« On peut entendre l’humanité dans le mix, la patte humaine. On peut ensuite dire : c’est de moi. J’ai choisi et payé chaque disque, j’ai mixé à ma façon et fait chaque transition avec mon propre style. C’est aussi une question d’investissement dans la musique, on s’engage dedans, on y passe du temps. On ressent moins tout cela avec le digital, les morceaux ont moins de valeur. En tout cas j’aime aller chez le disquaire, et c’est aussi peut-être pour cette raison que j’ai quitté le digital. »
Du côté de la production, il y pense régulièrement mais c’est chronophage. « Il est aussi un peu tard, si je commençais maintenant je risquerais de ne pas être bon avant mes 40 ans. C’est aussi une question de tempérament, je suis frustré bien trop vite. Par contre, il est vrai qu’un duo comme Two Armadillos pourrait me tenter, travailler avec quelqu’un de plus expérimenté techniquement qui serait capable de réaliser ce que j’ai dans ma tête ».
Mais aujourd’hui sur sa propre agence, il lui manque du temps pour se concentrer sur la production. Dean Driscoll représente désormais Function et Radio Slave ainsi que de nombreux artistes et labels. Et pour la première fois il apprécie vraiment de faire la promotion de ces artistes. « J’ai toujours eu le sentiment que j’étais un peu tombé dans ce milieu par hasard, j’étais passionné par la musique mais pas par mon rôle. Cela a changé depuis que je suis à mon compte, je choisis mes clients et comment je travaille avec eux. Il est aussi important pour moi d’avoir une certaine éthique. »
Paradoxalement il ne possède pas de biographie officielle. « Je suis bon pour promouvoir les autres, mais assez mauvais quand il s’agit de moi-même » précise-t-il en riant. Il s’éparpille d’ailleurs dans notre discussion sur les différents artistes qu’il représente, comme le nouveau label de Kennedy Smith : Bright Sounds, avant de déclarer qu’il risque de ne pas « pouvoir parler de tout le monde ».
Cet hyperactif présente l’émission de radio Locked Berlin sur Rinse FM, et organise la soirée homonyme au Prince Charles. Déçu de la fermeture du Horst, l’un des rares clubs où l’on pouvait écouter à Berlin du garage et du son UK, il ramène donc tous les deux mois des artistes représentant cette tendance. Deux concepts qui se complètent et qui définissent bien son environnement artistique.
« L’émission sur Rinse était là avant, elle a d’abord eu pour nom Disco&Mercy qui était le pseudonyme que j’utilisais avec mon ancien partenaire pour mixer. La soirée n’est pas vraiment liée à l’émission. C’est un peu une image miroir. Elle a pour but d’amener du son UK à Berlin, alors que l’émission de radio amène Berlin à Londres. Ce n’est pas le concept le plus imaginatif de lier Berlin et Londres, mais c’est un crochet simple qui me semble fonctionner. Je trouve aussi sain pour une scène d’incorporer d’autres influences, et je pense que Berlin a un peu manqué de ça ces dernières années. »
Résident aux côtés d’Uta, il se focalise désormais sur les warm up. « C’est un choix personnel, j’aime installer une ambiance et je préfère jouer plus deep. À la fin de la nuit on doit jouer avec une énergie différente qui n’est pas forcément mon point fort. »
Et alors qu’il jouera bientôt pour la première fois au Club der Visionaere, il précise pour terminer : « cela fait une impression bizarre d’être celui en train d’être interviewé, plutôt que d’être celui qui organise l’interview. J’espère que vous allez apprécier ce podcast, merci pour l’invitation ».
Tracklist :
Omar S – Leave [FXHE]
Italo Johnson – Italo Jonson 8 A [Italo Johnson]
Tin Man – Bass Sieve [Global Records International]
JPLS – Fall Off Distance [Delft]
Radio Slave – Don’t Stop No Sleep [Nonplus+]
XDB – Frocks [Sistrum]
Matrixxman – Procedure [Delft]
Pixel Music – M-Theory [Strength Music]
Daywalker + CF – Supersonic Transport [LIES]
Earth People – Dance (Bonus Beats) [Kool Groove]
Telephones – Untitled (The Island) [Running Back]
Jaysun Merced – FPV [Underground Quality]
Alton Miller feat. Bantu Soul – Ngizo Ku Linda (Abicah Soul remix) [Moods & Grooves]
Rivet – Bear Bile Pt.3 [Kontra Musik]
Soundcloud, Facebook, Twitter & Dean Driscoll electronic music consultancy
Photos par Yonathan Baraki